L’ordonnance signée le 20 juin 2024 par le chef de l’État camerounais, Paul Biya, qui acte une augmentation significative des frais d’établissement de la Carte nationale d’identité (CNI), est désormais effective. Cette décision suscite de vives réactions parmi la population et les acteurs politiques.
Alors que certains saluent une réforme nécessaire, d’autres critiquent la gestion confiée à un consortium étranger et pointent les difficultés persistantes dans l’obtention des cartes. Entre espoirs de modernisation et craintes de corruption, cette augmentation relance le débat sur la gouvernance et la transparence au Cameroun.
L’ordonnance signée le 20 juin 2024 par le chef de l’État, Paul Biya, relative à l’augmentation des frais d’établissement de la Carte nationale d’identité (CNI), est déjà effective sur toute l’étendue du territoire national. Cette ordonnance stipule que le droit de timbre pour l’établissement des CNI, ainsi que les cartes de séjour délivrées aux étrangers, passe à 10 000 FCFA. C’est une augmentation de l’ordre de plus de 250%.
À entendre les uns et les autres, cette réforme serait la bienvenue si ce marché avait été confié aux nationaux, car il y a de l’expertise chez nous. Malheureusement, Martin Mbarga Nguélé, Délégué général à la Sûreté nationale (DGSN), a signé avec le consortium germano-portugais Incm-Augentic un contrat pour le financement, la concession, le développement, la mise en service et l’exploitation d’un nouveau système d’identification au Cameroun.
Un débat national
Malgré cette augmentation, on observe toujours une affluence dans les commissariats. Mais cette réforme ne va pas sans susciter des interrogations du genre : à qui profite cette augmentation ? Nos gouvernants tiennent-ils compte du très faible pouvoir d’achat de la majorité de la population ?
Pour le patriarche Samuel L., « autrefois, nous avions des cartes d’identité en carton, remplies à l’aide d’une plume et de l’encre. L’écriture était tellement agréable à voir. Cette carte, qui coûtait 2 800 FCFA, une fois les conditions remplies, était établie sur place et le requérant rentrait avec ce précieux sésame, sans intervention, ni protocole. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on observe ? Non seulement les frais ont pris l’ascenseur, mais tu dois aussi braver la peur de te faire agresser, ensuite couper ton sommeil, c’est-à-dire te réveiller à 3 ou 4 heures du matin, pour espérer être parmi les 50 premières personnes qui seront servies ce jour-là. Dans le cas contraire, tu as deux possibilités : soit tu dois corrompre un agent de la police ou un intermédiaire, soit tu rebrousses chemin pour revenir le lendemain à la même heure. Et malgré toute cette gymnastique, ce n’est que le récépissé qu’on te remet, et la carte elle-même, il faut attendre plus de quatre ans pour les chanceux. Entre-temps, ton récépissé prend du volume, parce qu’il faut le proroger tous les quatre mois, et en plus, se faire identifier auprès des compagnies de téléphonie, moyennant quelques frais. »
« Si ce nouveau système d’identification instauré peut résoudre ce problème tant décrié, nous ne pourrons que dire ‟merci à Dieu !”, ajoute-t-il.
« Pourquoi avoir attendu l’approche des différentes consultations électorales (présidentielle, législative, sénatoriale, municipale, etc.) pour lancer cette opération ? Est-ce l’affluence des populations, même les plus sceptiques, aux bureaux d’Elecam (Elections Cameroon) pour se faire enrôler sur les listes électorales, qui fait peur au régime en place ? Cette augmentation ne va-t-elle pas servir au régime en place pour la campagne électorale et se maintenir au pouvoir ? N’a-t-on pas trouvé des Camerounais vivant au pays ou dans la diaspora capables de faire ce travail ? Est-ce pour des rétrocommissions qu’on a fait appel à l’expertise étrangère ? Est-ce que le délai de 48 heures annoncé sera respecté ? N’est-ce pas là une autre porte qu’on ouvre pour la corruption ? Qu’est-ce qui va véritablement changer ? Ne faudra-t-il pas construire d’autres infrastructures ? », s’interroge l’homme politique François P.
« Je vois donc en cela un mépris total des gouvernants envers les populations qui vivent avec moins de 1 000 FCFA (1,52 euros) par jour, dont le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti) est de 41 875 FCFA, soit 63,8 euros, et également une insulte envers nos ingénieurs en informatique », conclut-il.