Au Tchad, des « tirs de joie » pour arracher des vies innocentes


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Mahamat Déby, président de la Transition au Tchad
Mahamat Déby, président de la Transition au Tchad

Au Tchad, jeudi dernier, alors que l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) proclamait les résultats provisoires de la Présidentielle donnant pour vainqueur l’actuel Président de la transition, des militaires se sont mis à tirer des coups de feu pour, dit-on, exprimer leur joie. Malheureusement, ces « tirs de joie » ont provoqué des morts. Une dizaine au moins ainsi que des blessés. Des victimes gratuites qui n’obtiendront peut-être jamais justice.

Le martyre que subit le peuple tchadien depuis des décennies où il est embrigadé par des régimes violents, aussi sanguinaires qu’inhumains perpétués au bout du fusil, n’est visiblement pas près de s’estomper. La dernière élection présidentielle au déroulement plus qu’opaque, qui a consacré la victoire d’un dictateur en devenir en donne déjà les premiers signaux. À l’annonce de cette victoire sans doute fabriquée de toutes pièces dans une élection verrouillée d’avance depuis des mois, on a vu des militaires à la solde du pouvoir tirer des rafales d’armes automatiques pour prétendument manifester leur joie après l’élection de leur héros. Malheureusement, ces « tirs de joie » ont arraché à la vie des Tchadiens dont le nombre n’est d’ailleurs pas connu jusque-là.

Drôle de façon de manifester sa joie

On parle, pour l’instant, d’une dizaine de morts au moins ainsi que des blessés. Un chiffre non encore confirmé puisque l’Exécutif tchadien, à travers le ministère de la Santé, a interdit aux hôpitaux de communiquer des informations sur le sujet aux hommes de médias. Ce qui d’ailleurs provoque l’ire des professionnels de la presse. En clair, pas moins d’une dizaine de Tchadiens ont été tués gratuitement et d’autres blessés par des gens payés aux frais du contribuable pour les protéger. Des militaires qui, pendant des minutes, ont arrosé N’Djamena de rafales de tirs à l’arme automatique. Une bien curieuse façon de manifester sa joie et de célébrer la victoire de son champion.

Les interdictions de tirs émises par le ministre de l’Intérieur et le chef d’état-major général des armées n’ont été que des coups d’épée dans l’eau. À y regarder de très près, on a l’impression que plus qu’une simple envie de manifester leur joie, l’acte des militaires semble avoir un tout autre objectif : dissuader toute personne pouvant tenter d’organiser des protestations dans une capitale surmilitarisée pour l’occasion, et où le Premier ministre lui-même candidat s’était dépêché de revendiquer la victoire avant la proclamation des résultats provisoires par l’ANGE. Et ceci, au péril de la vie des citoyens ordinaires.

Qu’en sera-t-il des auteurs des tirs ?

L’acte posé par ces militaires montre combien de fois les Tchadiens sont en insécurité avec le régime de Déby-fils qui, manifestement, marche sur les traces de son père, Idriss Déby Itno, qui a régenté le pays pendant une trentaine d’années. Cet acte avec ses conséquences désastreuses sur des familles entières ayant perdu, sans raison, leurs membres démontre, si besoin en était encore, que la vie des Tchadiens n’a aucune valeur aux yeux des dirigeants du pays.

Que disent les autorités au plus haut niveau du pays ? Pour le moment, seul le porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, a déclaré déplorer de la façon « la plus totale » ces « tirs de joie » qu’il a jugés excessifs. Que vaut encore l’autorité du ministre de la Sécurité publique ou celle du chef d’état-major général des armées dont les instructions interdisant les coups de feu ont été facilement bafouées par les militaires ? Qu’en sera-t-il des responsabilités ? Les auteurs de ces tirs seront-ils amenés à répondre de leurs actes ? En d’autres termes, les victimes innocentes et leurs proches obtiendront-ils un jour justice ? Difficile de répondre à toutes ces questions dans ce Tchad où tout semble marcher sur la tête.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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