L’armée tchadienne procéderait au recrutement forcé de jeunes gens, et probablement d’enfants mineurs, pour compenser les pertes subies dans ses rangs lors des récents combats qu’elle a livrés aux troupes rebelles sur plusieurs fronts de l’est du pays.
Selon les informations reçues par l’organisation non-gouvernementale tchadienne Droits humains sans frontières (DHSF), des unités de l’armée se seraient introduites dans des domiciles privés et auraient emmené avec elles des enfants. Et d’après plusieurs témoignages, confirmés par une personne ayant assisté à une rafle, des rafles bien plus importantes sont également effectuées dans des endroits où se rassemblent des jeunes. Ces opérations auraient lieu à N’Djamena, la capitale, mais aussi dans les villes et villages du pays. « Bon nombre de jeunes incorporés de force dans l’armée sont des mineurs », selon Daniel Passalet Duezoumbe, directeur de DHSF.
L’armée et les troupes rebelles ont subi de lourdes pertes au cours des combats des dernières semaines. Après 10 jours au plus de formation, les nouvelles recrues sont directement envoyées au front, a expliqué M. Duezoumbe. « Un enfant se serait tué avec son arme parce qu’il n’avait pas été correctement formé à son maniement ».
En janvier 2006, des défenseurs des droits humains avaient déjà fait état de recrutements forcés d’enfants, puis de vagues de soldats tchadiens désertant l’armée pour rejoindre les rangs de la rébellion.
Un témoin
Guy, un étudiant de 22 ans qui n’a pas voulu révélé son nom, a expliqué comment il avait pu échapper à une rafle de l’armée alors qu’il assistait à une projection de film dans une salle de cinéma de N’Djamena.
« Une heure après le début de la projection, les gens qui se trouvaient derrière nous se sont mis à crier. Je me suis retourné et j’ai vu des soldats portant des turbans et armés de fusils descendre les travées de la salle, tirer tous les hommes de leur siège et les emmener avec eux ».
Guy a pu sauter par-dessus le mur et s’enfuir. « En courant, je me suis retourné et j’ai vu deux camionnettes Toyota de l’armée et un gros camion dans lequel des soldats faisaient monter de force les personnes appréhendées ».
Légalité de la conscription
Aucune disposition du droit international ne traite du recrutement forcé de civils âgés de plus de 18 ans, a expliqué Thomas Merkelbach, le représentant du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Tchad.
« Je ne sais pas s’il existe une disposition particulière sur l’enrôlement de force », a-t-il indiqué, en référence au recours à la conscription militaire immédiate – appelée aussi réquisition – et sans préavis de jeunes gens. Toutefois, pour M. Duezoumbe de DHSF, cette pratique est illégale selon le droit tchadien.
« Selon l’article 51 de la Constitution tchadienne, l’Etat ne peut avoir recours à la conscription militaire de civils que s’il fait face à une menace extérieure sur son territoire, mais pas dans le cas d’une rébellion interne », a-t-il souligné.
M. Duezoumbe a également fait remarquer que cette conscription devait au préalable être approuvée par l’Assemblée nationale. « La rafle par l’armée de jeunes gens dans la rue est totalement illégale ». Dans les zones de conflits, à l’est, les rebelles procèdent également à des recrutements forcés, a-t-il ajouté.
Réponse des autorités
Au cours d’un point de presse qu’il a tenu en décembre, Hourmadji Moussa Doumgor, porte-parole du gouvernement, a indiqué que si des rafles avaient été effectuées par des soldats, ils n’en avaient pas l’autorisation.
« Le gouvernement demande à toutes les personnes enrôlées de force ou manipulées par ceux qui les ont conduites dans les zones de combats au cours des dernières semaines, et qui se retrouvent actuellement abandonnées dans la nature, de se présenter aux autorités [civiles] locales avec ou sans leur arme », avait déclaré M. Doumgor. « Les jeunes gens ne devraient pas craindre les autorités civiles. Ils seront bien accueillis », avait-il ajouté.
Certaines sources contactées par IRIN doutent cependant que des soldats présents sur les lignes de front osent déserter leur poste sous prétexte qu’ils ont été recrutés de force.