Dans ce petit royaume grand comme deux fois la Corse, le monarque Mswati III accorde une autorité de plus en plus large aux chefs de clans swazis. Et notamment en matière de pouvoir judiciaire, ce qui fait grincer des dents les partisans d’un régime démocratique. Zoom sur les us et coutumes d’une organisation clanique.
Au royaume du Swaziland, la fonction de chef de tribu n’est pas un vain mot. Le parlement de la dernière monarchie absolue de l’Afrique sub-saharienne est en passe de voter une loi concédant aux 300 chefs du pays des salaires mensuels et des chauffeurs. Alors que très peu d’entre eux possèdent des voitures. Alors que les sénateurs avaient déjà voté une loi pour leur attribuer un téléphone portable.
Une ambition cependant vite abandonnée puisque la plupart des zones rurales ne sont pas couvertes par le réseau. » Le débat concernant les chauffeurs et les salaires est exclusivement politique, explique James Hall, journaliste américain du Times of Swaziland, qui se présente comme l’unique journal libre du pays. Les membres du régime aspirent à ces petits profits pour eux-mêmes. Et pour ne pas paraître égoïstes, ils ont suggéré de les accorder aux chefs ! «
Si ces attributs paraissent anedoctiques, ils n’en témoignent pas moins de la forte volonté du roi Mswati III de renforcer le statut des chefs, véritable ciment de la société swazi. Nommés ou destitués par le roi, ils ont quasiment tout pouvoir sur la lignée familiale qu’ils contrôlent. Toute la vie administrative est soumise à leur consentement : passeport, permis de conduire, de construire, paiement des taxes, enregistrement des votes, etc.
Enfin, tout récemment, le roi a promulgué un décret irrévocable leur accordant ce qu’il leur manquait jusque-là : le pouvoir judiciaire. Les chefs peuvent désormais intenter des procès et procéder aux arrestations des sujets jugés douteux. Au menu des arguments officiels donnés par le ministre de la Justice Maweni Simelane, lui-même chef : la lutte contre la déforestation anarchique et la montée de la criminalité dans les campagnes. » C’est une évidence, confirme ce diplomate basé au Mozambique. Auparavant, les chefs autorisaient ou non la coupe du bois. Depuis que dans certaines zones, les chefs ne contrôlent plus les populations, on assiste à une désertification des régions. Et le budget de l’Etat ne permet pas la mise en place d’une police suffisante et efficace. «
La peur de l’arbitraire
Néanmoins, cette » loi judiciaire « provoque encore la vive indignation des groupes d’oppositions et de défense des droits de l’homme qui luttent pour un régime démocratique. S’ils ne contestent pas le motif écologique, ils craignent cependant une dérive politique de la part des chefs. Ces derniers qui, pour la plupart sont illettrés, seraient susceptibles d’utiliser leur pouvoir de manière abusive et arbitraire. En témoignent les récurrentes menaces d’expulsion que certains chefs font subir depuis des années à des familles entières parce qu’un de leurs membres appartient à un parti politique clandestin. Pourtant, les partisans du régime et des traditions clament à tout-va que le durcissement de l’autorité des chefs du pays contribue à l’harmonie de la communauté swazi.
Alors que nombre de pays africain aspirent à la modernité, cette enclave de l’Afrique du Sud et du Mozambique s’accroche comme à un rocher à l’organisation clanique de son peuple. Rien d’étonnant dans un Etat dirigé par un roi qui détient les pouvoirs exécutif et législatif, et qui maintient l’interdiction du multipartisme aboli en 1973. Et ce, malgré les nombreuses grèves et manifestations qui ont secoué le pays ces dernières années. Pour autant un vent démocratique souffle depuis 1996 : le roi a désigné une commission pour élaborer une constitution qui serait soumise au vote populaire. Même si l’ébauche d’une démocratie piétine, une question demeure : pourquoi renforcer le pouvoir traditionnel alors que sa suppression serait imminente en cas de régime démocratique ?