Viviane Kitete dénonce depuis 2002, au sein d’un collectif d’associations, l’usage des agressions sexuelles comme arme de guerre dans son Nord-Kivu natal. Cette dynamique juriste regrette de ne pouvoir défendre les nombreuses victimes en raison du manque d’argent et d’un système judiciaire inefficace. Interview.
Viviane Kitete a créé en 2001 un Centre de rééducation pour l’enfance délinquante et défavorisée (CREDD). Il y avait déjà beaucoup à faire mais l’association basée à Beni, un territoire de la province du Nord-Kivu (Est de la République Démocratique du Congo), s’est rapidement retrouvée submergée par l’arrivée de femmes victimes de diverses violences sexuelles commises pendant la guerre. Des violences souvent d’une extrême cruauté : « Certaines femmes ont eu un fusil, un couteau, un bout de bois pointu, du verre ou des clous rouillés, des pierres, du sable ou des piments enfoncés dans le vagin, ce qui a provoqué de graves blessures physiques et des souffrances », explique Amnesty International, qui soutient Viviane Kitete dans son combat depuis 2003. Pour assister au mieux les survivantes, le CREDD et une vingtaine d’autres associations de la région se sont réunis en 2002 au sein du collectif Commission de lutte contre les violences faites aux femmes. Seulement, la dynamique Viviane Kitete regrette de voir son champ d’action réduit à cause du manque de financement et d’un système judiciaire qu’elle juge inefficace.
Afrik.com : Quel est le profil des victimes que vous recevez ?
Viviane Kitete : Il y a une très grande majorité de femmes parce qu’en temps de guerre les hommes fuient, car ils sont ciblés par les exterminations, alors que les femmes restent sur place pour assurer la subsistance de la famille. Nous recevons aussi quelques hommes victimes de violences sexuelles. Souvent ils ont été agressés par voie anale ou violés par des femmes rebelles restées trop longtemps dans les montagnes sans avoir connu d’homme.
Afrik.com : Recevez-vous beaucoup de femmes atteintes par le VIH/sida ?
Viviane Kitete : Nous avons beaucoup de cas, oui. Le Fonds des Nations Unies pour la population (Fnuap) nous fournit des kits de prise en charge pour les femmes violées qui comporte des ARV (antirétroviraux, ndlr) à prendre au maximum 72h après le viol, une pilule du lendemain contre la grossesse non désirée, un vaccin contre hépatite B, un autre contre le tétanos et des antibiotiques contre les IST et les MST (infections sexuellement transmissibles et maladies sexuellement transmissibles, ndlr). Mais les femmes violées qui sont à 100 km, combien de temps de marche devront-elles faire pour bénéficier de ce soin ? Le temps qu’elles arrivent, il sera trop tard si elles ont été exposées au VIH ou si elles sont tombées enceintes. Autre problème, le Fnuap n’a pas une approche réaliste du terrain : il nous arrive d’être en rupture de stock et nous ne pouvons donc plus assurer la prise en charge. Par ailleurs, les centres de santé qui pourraient s’occuper des victimes ne sont pas facilement accessibles et le problème de la prise en charge reste donc entier.
Afrik.com : Quelles séquelles psychologiques reviennent fréquemment chez les victimes ?
Viviane Kitete : Les femmes sont traumatisées, stressées et font régulièrement des cauchemars. Elles ont aussi peur à tout moment et ressentent de la honte : surtout dans le milieu rural, une jeune femme qui a été violée par un homme et parfois un groupe d’hommes n’a plus d’espoir de se marier. Plus généralement, les femmes ont l’impression d’avoir perdu leur dignité et pensent que tout le monde sait et parle de ce qui leur est arrivé. Quant aux hommes, ils se sentent diminués. Un homme pris de force par voie anale se sent réduit par rapport à la femme, qu’il ne considère pas comme son égal.
Afrik.com : La justice est-elle efficace pour aider les victimes ?
Viviane Kitete : Pas du tout ! L’appareil judiciaire du pays souffre d’un manque de moyens logistiques, matériels et humains, surtout dans les milieux ruraux. Dans les parquets, il n’y a pas de formulaires préétablis et les magistrats se débrouillent comme ils peuvent pour obtenir des mandats. Les femmes sont par ailleurs sous-représentées dans l’appareil judiciaire et les magistrats et les juges souffrent des interférences politique et militaire. Ce qui fait que, quand une plainte pour viol arrive, son traitement est extrêmement lent et les preuves s’évanouissent dans la nature. Il faut aussi noter que quand on auditionne la victime, on lui demande de l’argent. Lorsque le magistrat verbalise les dires de la plaignante, là encore, on lui demande de l’argent. Pour que l’avocat envoie une convocation à l’agresseur, c’est encore de l’argent qu’il faut sortir. Il y a encore bien d’autres exemples mais au final on peut conclure que tous les frais de justice retombent sur la victime, qui se décourage.
Afrik.com : Avez-vous le pouvoir de soulager ces dépenses ?
Viviane Kitete : Avant, on les prenait en charge. Mais quand on n’a pas d’argent et pas d’appui, comment faire ? Quand il s’agit de trois ou quatre personnes ça va, mais des centaines ou un millier de gens…
Afrik.com : Vous est-il arrivé de remporter certaines affaires ?
Viviane Kitete : Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (HCDH) nous a fourni en 2005 un appui qui nous a permis de couvrir les frais de victimes. Cela nous a permis de plaider dans douze affaires, que nous avons toutes gagnées.
Afrik.com : Participez-vous à la réinsertion socio-économique des victimes ?
Viviane Kitete : Nous n’avons malheureusement pas d’appui. Il faudrait un microcrédit rotatif pour que les femmes apprennent la thérapie par l’occupation. C’est-à-dire qu’elles apprennent la coupe et couture, par exemple, pour pouvoir gagner de l’argent mais aussi se concentrer sur autre chose que le drame qu’elles ont vécu.
Afrik.com : Votre combat vous pose-t-il des problèmes ?
Viviane Kitete : J’ai de sérieux problèmes. De nombreux journaux de Beni disent n’importe quoi sur moi. Ils me dénigrent et me diffament parce qu’ils trouvent que je suis une « révolteuse » de femmes. Ils veulent me sanctionner parce que j’ai fait condamner des hommes. Je reçois aussi des menaces lorsque j’assiste les victimes devant la justice.
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Photo : Laurent Hini pour Amnesty International
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