Au secours des hommes battus du Maroc


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Les hommes battus choisissent souvent de taire leur calvaire afin de ne pas être rejetés par la société. Au Maroc, une association et une assistante sociale retraitée accompagnent ces victimes et tentent de briser le cycle de la violence. Une initiative pas toujours bien vue… par les femmes.

Rabat, au début des années 80. Dans un tribunal, une épouse attaque son mari qui l’a battue. Lorsque le juge lui demande pourquoi il en est arrivé là, l’accusé répond que sa femme l’avait auparavant frappé à plusieurs reprises. Interloqué, le magistrat lance en substance : « C’est vous l’homme et vous vous êtes laissé battre par une femme !? ».

La réaction du juge, qui a condamné le mari indélicat, résume encore bien aujourd’hui la perception des hommes battus dans la société marocaine. Ils font l’objet de quolibets, sont moqués et leur virilité est remise en question. Il faut dire que, par le passé, une femme qui venait à rosser son compagnon pouvait quasiment entrer dans l’histoire.

« Avant, les femmes ne pouvaient en aucun cas lever la main ou même la voix sur leur mari. On les frappait et elles restaient avec les gamins, surtout dans le Sud du pays. Et même quand elle venait à porter plainte, on réprimandait l’homme et il repartait avec une simple amende », raconte Jamila Arsalane, assistante sociale à la retraite et militante associative.

Les Marocaines ne se laissent plus faire

Les temps ont changé. Si les acteurs sociaux estiment que les hommes victimes de violences conjugales sont infiniment moins nombreux comparé aux femmes, ils constatent néanmoins une tendance est à la hausse. Selon Jamila Arsalane, « c’est un petit phénomène qui peut devenir un grand phénomène ».

Les jeunes couples seraient particulièrement exposés. « La femme instruite jouit d’une indépendance économique, poursuit l’assistante sociale. Elle se dit qu’elle apporte autant que son mari à la maison, ce qui est capital dans les rapports de force. » Un rapport qui tend à pencher en faveur des femmes.

« Les hommes sont de plus ne plus au chômage. Par ailleurs, certaines femmes n’interprètent pas bien la Moudawana (le code de la famille, ndlr) et s’en servent pour faire pression sur les hommes », relève Abdelfattah Bahjaji, président du Réseau marocain pour la défense des droits des hommes (RMDDH), une association pionnière dans son genre créée le 29 février 2009.

Conséquence : les Marocaines ne se laissent plus faire. Des hommes témoignent de leur expérience. « Au début de notre mariage, il m’est arrivé de gifler ma femme croyant qu’elle n’allait pas me la rendre, a confié Ali au quotidien Aujourd’hui le Maroc. Et pourtant, elle m’en a rendu une des plus terribles. Je l’ai frappée et elle s’est bien défendue. Têtu que je suis, je voulais aller au-delà des limites de ma nature d’homme. A chaque fois, c’est elle qui remportait la bagarre. Chose qui a éveillé en moi une sorte de crainte. »

« L’homme sera toujours coupable »

M’Hamed, lui, est marié à un « genre de garçon manqué » bien charpenté. Son calvaire a commencé la nuit du mariage. « Elle m’a demandé de lui donner une véritable preuve d’amour. Je lui ai alors demandé ce que c’était. Elle voulait me donner une gifle. J’ai accepté en me disant que la gifle d’une femme n’était pas aussi terrible que celle d’un homme. Et depuis, chaque fois que l’on se fâche, elle me demande la même chose et j’accepte. Au fil des années, c’est devenu comme une habitude », a raconté ce commerçant à Aujourd’hui le Maroc.

Nombreux sont ceux qui ne ripostent pas comme s’y était risqué leur congénère condamné à Rabat. Car l’agresseur agressé pourrait aller trouver la police. Le danger est alors double. D’une part, « la société ne pardonnera jamais à un homme qui a battu sa femme mais, en plus, elle lui trouvera des circonstances atténuantes. L’homme aura beau se justifier, il sera toujours coupable », indique Me Abderrahim Bouhmidi, avocat au barreau de Rabat.

D’autre part, une confrontation avec les forces de l’ordre, et une éventuelle plainte, c’est le lourd secret de l’homme battu qui pourrait être rendu public… Une idée insupportable. Alors beaucoup, pétrifiés à l’idée de perdre leurs enfants, se refusent à faire parler les poings. Et les rares qui décident d’obtenir réparation n’osent pas toujours aller jusqu’au bout.

« Je n’ai eu qu’un seul cas d’homme battu dans mon cabinet, explique Me Mourad Bekkouri, avocat au barreau de Rabat. Cet homme était tout le temps insulté et battu par sa femme, qui l’a même frappé une fois au visage avec un couteau. Chaque fois qu’il arrivait dans mon cabinet, il avait une cicatrice et, en colère, il me demandait d’engager une procédure judiciaire. Et puis après il se rétractait. »

Médiation

La société ne se contente pas de les juger : elle ne leur apporte aucun son soutien. Alors qu’il existe des associations et des refuges pour femmes battues, les hommes peinent à trouver de l’aide. Une injustice que tente de réparer le RMDDH. Il « apporte un soutien psychologique aux victimes, leur enseigne leurs droits et devoirs et les conseille lorsqu’ils entendent mener une action en justice », résume Abdelfattah Bahjaji. Le RMDDH s’investit aussi beaucoup dans la médiation et, dans certains cas, le couple rentre à la maison bras dessus bras dessous.

Jamila Arsalane, qui a rencontré une cinquantaine d’hommes battus pendant sa carrière et espère monter une association pour eux, mise également sur la médiation. « Ça n’a aucune valeur juridique, mais je demande au mari et à la femme d’écrire ce que l’autre n’a pas le droit de faire. Si jamais ils se battent pour l’une de ces choses, je leur dis que je me porterai partie civile contre l’agresseur… et ça marche très bien !».

Les prémices d’une révolution ? Il semblerait. « Les hommes ne pouvaient pas parler avant la création du réseau, parce que c’était honteux de dire qu’on était battu. Maintenant, ils commencent à parler », se réjouit le président du RMDDH, dont la petite équipe a reçu plus de « 300» hommes maltraités par leur moitié.

Une cause qui dérange

Reste que cette cause dérange. Des associations de femmes regrettent que tant d’énergie soit déployée pour combattre un phénomène marginal, alors que tant reste à faire pour que les Marocaines victimes de violences conjugales puissent parler librement. Et sans qu’on ne leur dise plus qu’elles ont sûrement été battues pour une bonne raison. Un proverbe arabe ne dit-il pas : « Bats ta femme tous les matins, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait. »

Aussi, si certaines partagent le combat du RMDDH ou y voient un « outil pour résoudre les problèmes avec leur mari », d’autres ont pris en grippe le mouvement. « Elles pensent que nous sommes des hommes qui voulons contrarier le mouvement de libération des femmes, conclut Abdelfattah Bahjaji. Mais nous sommes là pour défendre la famille marocaine, pas seulement les hommes ! »

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