Elle chantait » Ne me quitte pas » de Jacques Brel de sa voix rauque aux accents qui savaient être suaves, de sa voix rocailleuse qui savait aussi charrier du bonheur. Elle était l’interprète passionnée de chansons engagées comme » Mississipi Goddam » qu’elle a elle-même composée. La tessiture douce-amère, le timbre aux couleurs de miel profond et âpre se sont définitivement tus. Lundi 21 avril, Nina Simone, extravagante diva du jazz noire-américaine, s’est éteinte à 70 ans, dans sa maison des environs de Marseille, en France.
Nina Simone était aussi à l’aise dans les standards de jazz qu’en interprétant un blues ou un gospel ou qu’en reprenant l’interplanétaire My Way. Voilà pourquoi certains la définissent comme » inclassable « . C’était pourtant une chanteuse. Une chanteuse qui n’avait pas qu’un coffre mais aussi un corps, qu’elle transformait et transfigurait au gré de ses interprétations toujours saisissantes. Il fallait la voir reprendre, comme en transe, » I put a spell on you » de Jay Hawkins.
De sa vie fantasque on retiendra de l’argent et des amants gagnés puis perdus, un mari violent, un exil volontaire passant par la Suisse, le Libéria, Trinidad et la Grande-Bretagne… Une condamnation à huit mois de prison avec sursis en 1995 pour avoir tiré au fusil de chasse sur un adolescent trop bruyant et des caprices de stars lors de ses derniers concerts… On se souviendra d’une Nina poursuivant son chemin de femme noire libre et libérée, parfois avec insolence, parfois avec violence, parfois avec mauvais caractère. Dans la vie comme assise devant un piano, elle ne faisait jamais les choses à moitié.
On se rappellera qu’elle fût l’une des rares femmes noires à intégrer la prestigieuse école de musique new-yorkaise Juilliard, alors qu’elle s’appelle encore Eunice Waymon. Et l’on gardera en mémoire cette militante de la cause noire qui, pour conjurer le racisme et l’intolérance qu’elle a connu dans sa Caroline du Nord natale, se retrouve dans les rangs des manifestations qui tentent de réveiller l’Amérique des années 60.
Enfin, resteront gravés, dans les mémoires et les sillons des vinyles, les notes de son tube, » My baby just cares for me « . Nina, maintenant que tu es partie, pour une fois, tâche de prendre soin de toi.