Cela s’est passé entre mardi soir et mercredi midi au Sierra Leone : Foday Sankoh, le leader rebelle du RUF, a été arrêté alors qu’il errait, hagard et en caleçon, dans les rues de Freetown à la recherche de l’ambassade du Nigeria.
Un groupe de ses partisans a attaqué, lance-roquettes au poing, l’armée britannique et contraint les paras anglais à tuer trois d’entre eux ; un Casque bleu nigérian et six soldats sierra-léonais ont été fauchés par d’autres balles tirées par le RUF ; Chucky Taylor, le président du Liberia, offrant à nouveau ses bons offices pour résoudre la crise, alors qu’il est presque certain que les 350 Casques bleus encore otages sont dans son pays ; un contingent de quelques centaines de soldats hindous est venu se perdre à son tour dans le guêpier sierra-léonais.
Comment donner un sens à ces bribes d’information ? Ne faut-il pas plutôt voir, dans les derniers éléments de l’imbroglio, l’illustration que le Sierra Leone vit dans un chaos absolu, et qu’il n’est plus seulement un no man’s land mais aussi un nonsense land ?
Il ne saurait en être autrement, après huit ans d’une effroyable guerre civile qui a détruit non seulement le pays et son économie, mais jusqu’aux fondements de la vie en communauté. Les Sierra-léonais ont appris à vivre cachés pendant que les balles sifflaient de toutes parts et que s’abattaient les coups de machette. Un consensus s’est fait jour sur la part prépondérante de culpabilité de Foday Sankoh et de son RUF.
L’Onu n’en a pas tenu compte – l’aurait-elle pu ? Elle a entériné la mascarade d’accord politique qui donnait au chef rebelle la haute main sur les diamants du pays, avant de s’en mordre les doigts ces dernières semaines. Les Casques bleus n’ont rien à faire dans les pays où l’on prétend les tuer au combat.
Le malheur redoublé de ces pays du non-sens, c’est qu’il est extrêmement long et difficile de les reconstruire, tout simplement parce que leurs populations ne perçoivent plus son destin collectif. Mais qu’on pense à la Corée du Nord, au Kosovo et à l’Albanie d’aujourd’hui, au Rwanda et au Burundi de 1994, à la Roumanie d’il y a dix ans, au Nigeria de 1970, à l’Allemagne et à l’Italie de 1945. Dans toutes ces terres maudites, la misère, l’horreur des armes et la désorganisation ont laissé de ces traces qui ne s’effacent que peu à peu, au prix d’un effort immense. Leur retour à la vie et au sens est le meilleur argument de l’humanisme.