« Au Maroc, c’est la peau noire qui dérange ! »


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Les immigrés de l’Afrique subsaharienne ne sont plus les bienvenus au Maroc. Arrêtés arbitrairement, humiliés, reconduits sans vergogne à la frontière, ils vivent un véritable calvaire. Depuis le mois de juin dernier, le royaume chérifien a durci sa politique de répression à leur encontre, constatent les organisations de défense des droits de l’Homme. Les immigrés clandestins ne sont pas les seuls concernés par cette situation. Ceux qui sont en règle ne sont pas mieux lotis. Enquête.

Bakoyouko est venue vivre au Maroc pour fuir la crise post-électorale ivoirienne. En rêvant d’une vie meilleure au Royaume chérifien, le jeune homme de 34 ans ne s’imaginait pas que cet espoir se transformerait en calvaire. Ses difficultés commencent dès son arrivée à la ville d’Oujda, à l’est du pays, avec une dizaine de ses compatriotes. « Dans cette ville, les bailleurs ne louent pas aux migrants. Nous étions obligés de vivre dans la forêt », raconte-t-il. « Puis nous avons été confrontés à des bandits qui nous ont dépouillés de tous nos biens et déshabillés pour voir jusque dans nos anus si nous ne cachions pas des choses. Certaines femmes et même des hommes ont été violés. Nous avons dû marcher pendant des dizaines de jours avant de monter dans un train pour rejoindre Rabat. C’était l’enfer ! »

Un cauchemar qui continue. Comme Bakoyouko, ils sont des milliers à subir au quotidien la brutalité des autorités marocaines, qui ont durci depuis juin dernier leur politique de répression à l’encontre des immigrés clandestins. Mais ces derniers ne sont pas les seuls concernés par cette politique, précise Bakoyouko qui préside le Conseil des migrants subsahariens au Maroc (CCMS). Même ceux qui sont en situation régulière subissent des contrôles non justifiés, affirme-t-il.

Contrôles, arrestations, humiliations

Les contrôles incessants. Les arrestations arbitraires. Les humiliations. C’est ce que dénoncent les 20.000 migrants originaires de l’Afrique subsaharienne qui vivent au Maroc. Les forces de l’ordre n’interpellent pas les immigrés uniquement à la frontière. Ils les arrêtent aussi arbitrairement en ville, à leur travail ou au domicile, selon le président du (CCMS). « Lorsque les policiers nous arrêtent, ils ne nous laissent même pas le temps de nous expliquer. Ils reconduisent certains directement à la frontière », confie Bakayouko. Lui-même a violemment été interpellé le mois dernier alors qu’il était devant une épicerie. « Quatre policiers en civil m’ont saisi par la main et m’ont dit de monter dans la voiture. Je leur ai demandé pourquoi ? Ils m’ont dit de me taire et d’obéir. Ils ont fini par me relâcher, voyant que j’étais en règle. »

Pour Bakayouko, le principal problème des migrants, c’est l’absence de cadre juridique qui leur permet de bien s’intégrer dans le pays. Au moins 30% d’entre eux viennent au Royaume chérifien en situation régulière pour une durée, en général, de trois mois, rappelle-t-il. « Une fois que ce délai expire, pour rester dans le pays, les autorités exigent l’ouverture d’un compte bancaire et un contrat de travail ou une attestation certifiant que vous êtes inscrit dans une école », explique-t-il. Mais « les prix des écoles sont très chers, les migrants n’ont pas les moyens de les payer. Quant aux employeurs, ils refusent de leur signer un contrat de travail car ils exigent d’abord un titre de séjour. Or, pour avoir ce document, il faut obligatoirement un contrat de travail. De même, les banques refusent de leur ouvrir un compte tant qu’ils ne présentent pas un titre de séjour. C’est un vrai méli-mélo », déplore-t-il. Au final, beaucoup finissent par se décourager et restent dans la clandestinité.

Les migrants subsahariens sont aussi confrontés à la précarité. La plupart du temps, ils travaillent dans les secteurs informels, tels que les chantiers, les pâturages ou encore les marchés. Le salaire qu’ils perçoivent ne leur permet pas de payer leur loyer. Il n’est pas rare qu’ils dorment à cinq ou six dans une chambre. « Le loyer est très cher. C’est un vrai problème, selon Bakayouko. Il est fixé pour les migrants à 800 dirhams (environ 80 euros) alors que les Marocains payent en moyenne 500 dirhams (environ 50 euros). Même se nourrir est difficile. Parfois, certains attendent la fin du marché pour ramasser de la nourriture et faire leurs provisions ».

« Politique infernale pour les migrants »

Plusieurs ONG et associations de défense des migrants se sont insurgées contre leurs conditions de vie inhumaines. C’est le cas de l’association des droits de l’Homme marocaine (AMDH), dirigée par Khadija Ryadi. « C’est une chasse aux noirs pas aux migrants, fustige-t-elle. Cette violence à leur encontre est préméditée et encouragée par les autorités qui incitent les populations à leurs rendre la vie difficile. Tout cela pour les dissuader de venir au Maroc ! D’ailleurs, des Marocains vont jusqu’à affirmer que ce sont les noirs qui développent le sida et la prostitution dans le pays. Pis, insiste-t-elle, parfois des épiciers refusent de leur vendre quoi que se soit !»

Cette dégradation de leur situation est liée selon elle à la pression que l’Union européenne met au Maroc pour éviter que les migrants clandestins passent par ses frontières pour se rendre en Europe. En refoulant le maximum d’entre eux, le royaume chérifien « veut montrer qu’il est un bon élève. Mais cette nouvelle politique est infernale pour les immigrés. Des camerounais se sont dernièrement adressés à notre association pour que nous les aidions à rentrer chez eux, tant ils n’en peuvent plus ! »

Laye Camara, lui, ne compte pas rentrer en Guinée, son pays d’origine. Même s’il souffre beaucoup au Maroc. L’étudiant guinéen de 28 ans, qui milite dans plusieurs organisations de défense des droits des migrants, a été emprisonné le 20 octobre dernier après avoir été accusé de vendre de l’alcool. Le jeune homme affirme avoir en réalité été interpellé à cause du rapport qu’il rédigeait sur les arrestations arbitraires et brutales à l’encontre des migrants subsahariens. « L’alcool était juste un prétexte pour me mettre en prison. Ce qui dérangeait les policiers, c’est ce rapport que je devais remettre à l’AMDH. Ils sont venus me chercher, m’ont menotté et demandé si je connaissais des africains qui vendaient de la drogue. Je leur ai dit que je n’avais rien à voir dans cela. Ils m’ont frappé, pris mes clés et sont venus chez moi saccager ma chambre. Ils m’ont ensuite emmené au commissariat et interrogé : « Pourquoi tu écris sur nous ? » « Tu es qui es qui pour écrire sur nous ? » « A qui tu vas remettre ce rapport ? » Au bout de 15 jours de détention, il obtient finalement une libération provisoire grâce à une forte mobilisation des ONG.

Mortelle agression

« Au Maroc, c’est la peau noire qui dérange ! », clame Laye Camara, dont le procès se tiendra le 19 décembre. « Il y a d’autres migrants originaires du Bangladesh, de l’Iran, de l’Irak, des Philippines, mais ils ne subissent jamais les humiliations qu’on nous inflige au quotidien ! Ils ne sont pas systématiquement arrêtés ni contrôlés ! Dès lors que vous avez la peau noire, vous êtes visés ! Les policiers mettent tous les noirs dans le même camp. Parfois, ils les voient assis en groupe et les reconduisent sans raison à la frontière », dénonce-t-il. « Et lorsqu’ils effectuent des contrôles au domicile de certains immigrés, ils leur volent de l’argent, du matériel…» Ces derniers ne portent pas plainte car ils craignent d’être expulsés, confie-t-il.

L’étudiant guinéen pointe aussi du doigt la presse marocaine qui alimente, selon lui, cette violence à l’égard des Noirs. Il fait notamment référence au journal Maroc Hebdo qui avait publié un dossier sur les immigrés subsahariens au Maroc dont le titre était : « Le péril noir ». Un article qui a fait polémique. « Si les policiers et la presse traitent les migrants comme des moins que rien, ce n’est pas étonnant que la population marocaine, en grande partie analphabète, s’en prennent à eux ! »

Les immigrés de l’Afrique subsaharienne sont en effet souvent victimes d’agressions, parfois mortelles. Pas plus tard qu’en mars dernier, un étudiant guinéen a été tué à coups de couteau par un jeune marocain qui voulait lui dérober de l’argent et son téléphone portable. Selon Laye Camara, « le meurtre a eu lieu pendant la nuit. Au moins 29 immigrés sont descendus de chez eux pour défendre leur frère qui était déjà mort. Mais lorsque les policiers sont arrivés, ils les ont tous reconduits à la frontière, leur rappelant qu’ils n’étaient pas chez eux et qu’ils devaient accepter tout ce qui leur arrive. Quant au meurtrier, il n’a même pas été interpellé ».

Le jeune guinéen est encore meurtrie par cette histoire. C’est pour cela qu’il n’abandonnera jamais son combat : « Même si je dois mourir, je me battrai jusqu’au bout pour que les futures générations de migrants aient une vie meilleure au Maroc ! Les Marocains sont nombreux à vivre et à travailler chez nous. Pourtant nous ne les maltraitons pas. Nous les respectons ! Il n’est pas acceptable que nous subissons toutes ces brimades chez eux ! »

Contacté par Afrik.com, Mr.Jilali, le responsable du service de l’immigration au ministère de l’Intérieur du Maroc, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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