Au Cameroun, l’Église demande une alternance face au pouvoir de Paul Biya


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Paul Biya
Paul Biya

À l’approche des élections présidentielles de 2025 au Cameroun, les tensions politiques montent, et l’Église catholique prend position. Plusieurs prélats, au sein de l’Église catholique camerounaise, se sont exprimés en faveur d’un changement de leadership et ont appelé le président Paul Biya à ne pas briguer un nouveau mandat.

Alors que le pays se trouve à un tournant capital de son histoire politique, ces appels à l’alternance soulèvent de vives réactions, notamment de la part des autorités, qui n’hésitent pas à dénoncer ces prises de position publiques.

Des appels à l’alternance dans un contexte politique tendu

Dans leurs homélies de fin d’année et du nouvel An, plusieurs évêques ont exprimé des préoccupations croissantes quant à l’orientation actuelle du pays et ont encouragé un renouvellement du leadership. Le plus percutant d’entre eux a été Monseigneur Yaouda Hourgo, évêque du diocèse de Yagoua dans la région de l’Extrême-Nord. Dans une vidéo qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, il a appelé à un changement politique, affirmant que le pays ne pouvait plus continuer à souffrir sous la même direction.

« On a déjà souffert, on ne va pas souffrir plus que ça. Le pire ne viendra pas, même le diable qu’il prenne d’abord le pouvoir et on verra après », a-t-il déclaré lors de son homélie de nouvel An, en exprimant son mécontentement face à l’éventualité d’une nouvelle candidature de Paul Biya. Monseigneur Hourgo a ainsi franchi une étape en dévoilant son désaveu de la prolongation du pouvoir de Paul Biya, qui, à 93 ans, a exprimé dans son discours de fin d’année son désir de continuer à servir le pays. Ces propos de l’évêque de Yagoua résonnent comme un appel à l’alternance, soulignant que la population camerounaise mérite de nouvelles perspectives.

L’évêque de Ngaoundéré et la dénonciation des menaces contre les citoyens

Le 1er janvier 2025, un autre prélat, l’évêque de Ngaoundéré, a également pris la parole contre les menaces que subiraient les citoyens camerounais désireux d’exprimer leur mécontentement. Dans une vidéo très partagée, l’évêque a vivement critiqué l’attitude du gouvernement face aux protestations populaires, dénonçant la répression de ceux qui osent se manifester. « La plus grande des souffrances est qu’on interdit aux Camerounais d’exprimer leurs souffrances en leur promettant que l’État est un rouleau compresseur, un mixeur qui réduira à la pâte tout Camerounais qui osera exprimer sa souffrance », a-t-il déclaré. L’évêque a exprimé son inquiétude face à une société dans laquelle la liberté d’expression semble de plus en plus menacée par les autorités.

Ces déclarations font écho à un sentiment de frustration généralisée parmi une grande partie de la population camerounaise, qui se sent souvent réduite au silence face à une gouvernance jugée autoritaire et répressive. L’appel à la liberté d’expression et à un climat politique plus ouvert a pris une ampleur particulière avec la montée des critiques envers la gestion du pays par Paul Biya et son gouvernement.

Réactions de la société et des autorités

Pour de nombreux citoyens, ces prises de position des prélats ne sont pas une surprise. « Lorsque le pays baigne dans la mal gouvernance, dans la corruption, et qu’il y a abus sur la personne humaine, les évêques ne peuvent pas se contenter de rester dans leur confort, dans les sacristies. Ils ont l’obligation de prendre position pour éclairer les chrétiens sur les questions sociales à partir de la lumière de l’Évangile », a déclaré Étienne Bakaba, vicaire à la cathédrale Saint-Pierre et Paul de Bonadibong à Douala. Selon Bakaba, l’Église a un rôle essentiel à jouer pour encourager une réflexion sur la politique et la gouvernance, en particulier dans un contexte où les libertés et la dignité humaine sont perçues comme menacées.

Mais cette prise de position des prélats a également suscité des réactions défensives de la part des autorités. Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, a réagi fermement en annonçant détenir des informations compromettantes sur certaines associations religieuses qu’il accuse d’agiter la menace du chaos pour 2025. « Toutes ces personnes qui jettent de l’huile sur le feu n’ont qu’à bien se tenir durant toute l’année 2025. Il n’y aura pas d’espace pour les fauteurs de troubles. Quel que soit leur titre ou grade, l’ordre public sera maintenu et renforcé », a-t-il averti dans un discours, mettant en garde les membres du clergé et les militants politiques contre toute tentative de déstabiliser le pays.

Une rencontre décisive à Buea

Dans le même ordre d’idées, Jean de Dieu Momo, ministre délégué auprès du ministre de la Justice, a adressé une lettre ouverte aux prélats dans laquelle il qualifie leurs propos de « blasphématoires » et d’« attentatoires aux fondements bibliques », se positionnant ainsi en défenseur de la légitimité du pouvoir en place. Cette prise de position officielle montre l’ampleur de la tension croissante entre le gouvernement et les institutions religieuses sur la question de la gouvernance.

Dans ce climat tendu, les évêques du Cameroun se sont réunis à Buea, dans la région du Sud-Ouest, pour une rencontre décisive. Cette réunion de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun devrait déboucher sur une déclaration importante qui pourrait marquer un tournant dans le rôle politique de l’Église dans le pays. Une position officielle sur la question de l’alternance politique et des conditions de gouvernance pourrait venir renforcer ou nuancer les appels à la démission de Paul Biya et à une réforme du système politique camerounais.

Vers un changement nécessaire ?

La prise de position des prélats catholiques sur la question de l’alternance politique au Cameroun représente un moment charnière pour la vie politique du pays. Alors que l’élection présidentielle approche, la pression s’intensifie, non seulement au sein de la société civile, mais aussi au sein des institutions religieuses, qui jouent un rôle de plus en plus important dans le débat public.

La question de la longévité du pouvoir de Paul Biya et de la nécessité de renouveler les élites au Cameroun semble désormais au cœur des préoccupations de nombreux Camerounais, y compris des figures religieuses influentes. La suite des événements, notamment la déclaration des évêques, sera sans doute suivie de près par l’ensemble de la population et des acteurs politiques du pays.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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