Le coup d’Etat ayant emporté le Président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, découle d’une situation sécuritaire non maîtrisée. Ce putsch devrait être un cas école pour tous les pays du Sahel qui sont sous la menace terroriste. C’est ce qui ressort de l’analyse de Seidik Abba, journaliste-écrivain, spécialiste du Sahel.
Entretien
Comment expliquez-vous le coup d’État aussi soudain au Burkina Faso? Devait-on s’y attendre ?
Le coup d’État au Burkina Faso n’est pas une surprise car on s’attendait à cette tournure des évènements. La seule inconnue était la date à laquelle il allait avoir lieu. Et s’il n’avait pas lieu au mois de janvier, il est évident que la dégradation de la situation sécuritaire allait créer une intervention de l’armée au cours de l’année. D’ailleurs, de nombreux observateurs qui ont récemment séjourné à Ouagadougou sentaient une atmosphère de fin de règne du pouvoir du fait de la poursuite des attaques terroristes dans le pays étaient devenue quasi-quotidienne. Face à la situation, le pouvoir semblait en effet totalement démuni. L’attaque du village de Sohlan, dans le Nord-Est, qui a fait 160 morts en juin 2021, a été un tournant dans la dégradation de la situation sécuritaire. Cette attaque, au-delà du nombre de victimes, a rompu le consensus social, national, et l’union sacrée qu’il y avait dans le pays autour de la stratégie sécuritaire.
C’est à la suite des attaques de Sohlan que des manifestations de contestation de la stratégie sécuritaire du Président Kaboré ont commencé, le poussant à congédier son ministre de la Défense, Cherif Sy ,et son ministre de la Sécurité publique, Ousséni Compaoré. Mais cela n’a pas suffi à enrayer la répétition des attaques terroristes. En novembre, l’attaque d’Inata, dans le Nord-Est, qui a tué 53 gendarmes et quatre civils, a révélé qu’il y avait un réel problème de gouvernance dans la gestion des forces de défense et de sécurité. Les gendarmes qui ont été tués, en effet, avaient écrit avant cette attaque pour expliquer qu’ils n’avaient pas été ravitaillés et qu’ils avaient des problèmes logistiques. Cette situation a créé une vive émotion dans l’opinion et alimenté la fronde dans les forces de défense et de sécurité contre le Président Kaboré.
Après cela, une manifestation populaire a eu lieu samedi 27 novembre, à Ouagadougou, contre l’insécurité et la gestion de la situation. On savait que si les attaques se poursuivaient, le pouvoir allait être ébranlé car les forces de défense et de sécurité étaient à bout et ne pourraient plus accepter cette situation. Ces attaques ont emmené le Président Kaboré à faire des changements, à changer de ministres, ou encore à promettre plus de transparence dans la gestion, mais tout ça n’a pas suffi. Face à cet échec du pouvoir, les populations ont été emmenées à se dire qu’il fallait un changement de régime pour que la situation s’améliore.
Que révèle ce coup d’Etat quant à la capacité des pays confrontés au terrorisme en Afrique à protéger leurs territoires ?
Le coup d’État du Mali et celui du Burkina posent le problème de la capacité des États à gérer le volet sécuritaire. Au Mali, en 2012, le coup d’Etat contre Amadou Toumani Touré était lié à la gestion sécuritaire. Au début de la rébellion, l’armée malienne avait subi des revers face aux rebelles touaregs… Puis des questions d’approvisionnement et de logistiques avaient poussé les épouses des militaires à manifester avant que la mutinerie de Kati, liée aussi à des problèmes sécuritaires, n’éclate. De même, le coup d’État, en août 2020, contre Ibrahima Boubacar Keita était lui aussi lié à la situation sécuritaire, à laquelle est venue s’ajouter une situation politique post-électorale. Lors des élections législatives de 2020, des sièges avaient été attribués à la majorité présidentielle par la Cour constitutionnelle alors qu’elle ne les avait pas gagnés dans les urnes… Une crise politique qui a été mal gérée par le pouvoir et qui a emporté le régime de Ibrahim Boubacar Keita. Au Burkina aussi, c’est la situation sécuritaire qui a provoqué la chute du Président Kaboré.
Qu’est-ce que toutes ces situations révèlent concrètement ?
Cela pose aussi le problème de la capacité de ces pouvoirs sahéliens à gérer la question sécuritaire. De même, la mauvaise gouvernance y a beaucoup contribué. Car, certaines pratiques qui ont lieu dans les pays au niveau de la gestion des autres administrations ne se ressentent pas de la même manière. Par exemple, quand les fonds alloués à la sécurité sont détournés, cela joue directement sur les résultats sur le terrain et les Etats en payent immédiatement le prix ! Et cette mauvaise gouvernance appliquée aux forces de défense et sécurité a créé des situations où les pays n’ont pas pu répondre à la demande sécuritaire de leurs populations. Cela a créé des situations pour que les armées se retournent contre les pouvoirs en place…
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Cela signifie que la réponse sur le plan sécuritaire n’était pas adaptée et que la question de la bonne articulation entre les questions de sécurité et développement n’ont pas été réglées par ces pays. Cela a entraîné cette situation où les coups d’Etat sont perpétrés par des militaires qui ont mis en avant les mauvais résultats de la situation sécuritaire en dépit de la présence des forces étrangères. Dans de nombreux pays, les armées vivent un certain ressentiment face aux forces armées étrangères présentes mais qui ne leur apportent pas tout le soutien dont elles ont besoin.
La plupart des Etats en Afrique ont échoué face aux groupes terroristes qu’ils combattent… Ce coup d’Etat survenu au Burkina est-il la preuve que ces groupes gagnent du terrain et ont une longueur d’avance sur les dirigeants africains ?
Les groupes djihadistes ont créé les situations de coup d’État car l’insécurité qui persiste dans les pays du Sahel emmène à la révolte des populations. Les coups d’Etat sont la preuve que le rapport de force est en faveur des groupes djihadistes. Il ne faut pas oublier que lorsque la force française Serval débutait en 2013, il y avait que 20% du territoire malien qui était sous la menace des attaques terroristes. Aujourd’hui, nous sommes à plus de 80% du territoire malien qui est menacé par les groupes djihadistes qui se sont exportés au Niger et au Burkina. Ces groupes menacent désormais de s’étendre aux pays du Golfe de Guinée. La Côte d’Ivoire a déjà été attaquée sur sa frontière avec le Mali, trois fois, le Bénin a été attaqué au moins deux fois. Le Togo, en novembre, a affirmé avoir repoussé une tentative de coup d’Etat.
Le rapport de force est en faveur des groupes djihadistes. Le paradigme que les pays ont adapté pour répondre à la menace sécuritaire n’est pas le bon et la stratégie antiterroriste n’a pas donné des résultats à la hauteur. En attendant, les groupes djihadistes gagnent du terrain sur le plan de leur expansion territoriale et ont même changé de paradigme. Jusqu’en décembre 2019, ils s’en prenaient uniquement aux forces de défense et de sécurité, mais depuis, ils ont basculé dans le massacre de populations civiles, aggravant la situation sécuritaire des pays en question. Tout cela prouve que la réponse sécuritaire qui a été apportée dans les pays du Sahel avec leurs alliés occidentaux n’est pas la bonne et n’est pas adaptée. Il faut penser à une autre forme de réponse pour empêcher l’expansion territoriale.
Aujourd’hui, les pays voisins du Burkina doivent-ils craindre à leur tour de basculer dans l’insécurité et d’être confrontés aussi au terrorisme ?
Il y a clairement des raisons d’être vigilant en effet. Les pays voisins du Burkina doivent faire preuve de vigilance et coopérer avec les pays sahéliens pour éviter que le terrorisme ne s’exporte sur leur territoire… Le Burkina a la particularité d’être à cheval entre le Sahel et le Golfe de Guinée. Il y a au moins quatre pays frontaliers au Burkina : le Bénin, le Ghana, la Côte d’Ivoire ainsi que le Togo. Tous ces pays du Golfe de Guinée sont dans le viseur des terroristes. Il faut que ces pays améliorent leur coopération anti-terroriste avec le Burkina Faso. Le G5 Sahel est une entité qui regroupe des pays sahéliens mais compte tenu de la menace actuelle, il faut une coopération entre les pays du G5 Sahel et les pays du Golfe de Guinée parce que la menace terroriste risque de s’exporter dans tout le Sahel.
Le Burkina tient en effet une place importante dans l’agenda des groupes terroristes d’exporter le terrorisme dans les pays du Golfe de Guinée. La situation politique aujourd’hui au Burkina doit être très vite clarifiée pour éviter qu’on se préoccupe de la gestion de la crise politique et de la période transitoire et qu’on délaisse la question sécuritaire. Il faut donc rapidement avoir un chronogramme et un agenda pour connaître les orientations de la junte. Il serait aussi contre-productif de sanctionner le Burkina immédiatement et de vouloir mettre en quarantaine le pays. Si on met le pays en quarantaine, les groupes djihadistes trouveront une aubaine pour procéder à l’extension de leurs activités dans les pays du Golfe de Guinée.
Que risque dès lors le continent si la question sécuritaire n’est pas réglée? Quelles solutions pour venir à bout de cette plaie béante qui met à mal tous les équilibres du continent ?
L’enjeu sécuritaire ne suscite pas l’attention qu’on devrait lui donner sur le plan continental. Il faut que cette question soit au sommet de l’agenda de l’Union Africaine. Le Président Macky Sall doit prendre, à partir du 4 février, la présidence de l’Union Africaine. Etant lui-même un Président d’Afrique de l’Ouest, il doit mettre cette question de l’insécurité sur le continent au centre de toutes les discussions. Aujourd’hui, il n’y a presque pas une seule sous-région du continent qui ne soit pas touchée par le terrorisme. En Afrique de l’Ouest, Boko Haram sévit toujours et mène des attaques jusque dans la zone du Bassin du Lac Tchad qui touche l’Afrique Centrale. L’insécurité règne aussi dans l’Est de la République Démocratique du Congo, dans l’Ituri. En Afrique de l’Est, il y a la situation de la Somalie avec le groupe terroriste shebab. En Afrique Australe, il y a le cas du Mozambique où l’Etat islamique s’est installé, menaçant toute cette région. Sans compter, l’Afrique du Nord avec la Libye, qui est toujours instable depuis la chute de Mouammar Kadhafi.
L’ensemble du continent est donc confronté à des crises sécuritaires. Il faut que cette question soit abordée sur un plan continental car, aujourd’hui, aucun pays, de manière isolée, ne peut faire face à la situation sécuritaire car le type de menace est devenu transfrontalier. Face à la situation, il faut donc des réponses transfrontalières et coordonnées à l’échelle continentale et il faut mettre les moyens car l’Afrique a trop sous-traité sa sécurité en faisant appel aux forces étrangères. C’est le cas en Libye où il y a des ingérences et des rivalités entre les puissances extra-africaines, ce qui a davantage compliqué la donne. C’est aussi le cas au Mali avec la rivalité franco-russe… Tout cela montre une fois encore que la question sécuritaire doit être prise plus au sérieux par les dirigeants du continent.
En mai 2013, lors du cinquantenaire de l’Union Africaine, il avait été décidé de créer une Capacité africaine de réaction aux crises, la (CARI), cette force armée continentale n’a, depuis lors, jamais vu le jour. Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent mais plutôt la volonté politique. L’Afrique peut mutualiser ses forces. Il y a des pays qui produisent des armes, d’autres qui peuvent même faire de l’assemblage d’hélicoptère de guerre. Certains pays ont des moyens financiers, d’autres peuvent fournir des soldats et ont l’art de la guerre. Les pays qui sont des puissances militaires doivent plus s’impliquer et ne doivent pas être indifférents ou juste spectateurs face à la situation sécuritaire des pays sahéliens. Il faut au contraire mutualiser les compétences pour répondre aux défis sécuritaires que connaît le continent.
La question sécuritaire sur le continent n’est-elle pas directement liée à celle du développement ?
On ne peut pas faire du développement sans sécurité. On ne peut pas ouvrir les écoles sans sécurité. Au Mali, au Burkina et au Niger, des écoles ont été fermées en raison de la crise sécuritaire. Ce sont donc des milliers d’écoliers qui sont privés d’école. Quand la sécurité n’est pas assurée, il est également impossible de construire des routes ou encore de mener à bien la production agricole. La question sécuritaire doit être la priorité du continent et il faut d’abord la résoudre si on veut s’attaquer à la question du développement. Organiser des rencontres avec des bailleurs de fonds à Paris ou à Londres, où on annonce des milliards, ne résoudra rien tant que la question sécuritaire n’est pas réglée. De son côté, l’Union Africaine doit mieux incarner son leadership et prendre ses responsabilités face à l’enjeu sécuritaire du continent.
Paradoxalement, l’Union Européenne semble plus soucieuse de la sécurité en Afrique que l’Union Africaine car elle a débloqué 100 millions d’euros pour la force du G5 Sahel et 100 autres millions d’euros pour la force multilatérale du bassin du lac Tchad, alors que c’est aux Africains de montrer l’exemple et de prouver leur volonté d’assurer eux-mêmes leur sécurité au lieu de la sous-traiter à des partenaires extérieurs. Même si ce sont des partenaires traditionnels, sous-traiter la sécurité n’est pas la solution. Tant que l’insécurité sévira en Afrique, il ne peut pas y avoir de développement ni de bien-être des populations. On ne peut pas résoudre les crises sur le continent en pensant que ce sont uniquement des crises sécuritaires. Ce sont des crises sécuritaires avec des aspects liés directement au développement. Par exemple, au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad, des jeunes sont recrutés par des groupes djihadistes car ils n’ont pas d’emploi. Pour résoudre la question du recrutement par les groupes terroristes, il faut aussi donner des emplois et des perspectives d’avenir aux jeunes et mieux les accompagner. La question de la sécurité est le préalable au développement et au bien-être des populations.
Avec AP21