Depuis juillet 2015, le Cameroun a connu, à lui seul, plus de cinq attentats-suicides ayant causé plus de 50 morts. Le 3 septembre 2015, à elles seules, les attaques de Kerawa, petite localité frontalière du Nigeria, ont fait au moins 30 morts et 143 blessés. Ces attaques sont attribuées à la secte islamiste Boko Haram qui aurait pour but de défier la Force mixte multinationale (Nigeria-Niger-Tchad-Cameroun-Bénin).
Elles marquent aussi le changement de stratégie de Boko Haram qui ne procède plus par colonnes armées facilement repérables, mais désormais par des attaques kamikazes. Cette situation dramatique crée la psychose sociale et nécessite la prise de mesures adéquates. Deux questions se posent : Quels sont les pièges à éviter ? Et comment prévenir les attentats à l’avenir ?
Pièges à éviter
Le premier piège à éviter est la militarisation du pays. Les terroristes chercheraient à créer une ambiance de guerre favorable à la circulation non-suspecte des armes à feu et au chaos. Il faudrait renforcer la sécurité au niveau de la sous-région en utilisant de préférence les forces de sécurité et de défense en civil (renseignement). Cela permettra d’éviter que les populations civiles s’habituent à la présence des militaires dans l’espace public.
Ensuite, il faudrait éviter que le fondamentalisme religieux trouve un prétexte politique pour se muer en rébellion armée. Le prétexte serait par exemple la stigmatisation des musulmans et/ou des nordistes. Par exemple, des contrôles au faciès ou sur la seule base des origines nordistes ou de la pratique de la religion musulmane donneraient, comme en Côte d’Ivoire, des prétextes pour justifier une rébellion armée. Mieux, il faudrait contenir au niveau politique toute tentative de rédaction de memoranda nordistes à travers le rétablissement rapide de la justice sociale dans la politique de redistribution des richesses nationales.
Par ailleurs, il faudrait éviter de céder à la panique et de refermer le pays sur lui-même suite à la culpabilisation des étrangers. Par exemple, la rupture de la convention de 1964 sur la libre circulation entre le Cameroun et le Mali, ce 8 septembre 2015, pour des raisons de sécurité est un drame et un aveu de faiblesse dans la mesure où la libre circulation n’est pas une cause du terrorisme et de la violence. Une telle mesure restrictive et néfaste sur le plan économique ne peut qu’être interprétée comme une certaine forme de victoire des terroristes dans la déstabilisation des relations sous-régionales.
Enfin, il faudrait éviter de fermer l’espace public en restreignant les libertés d’aller et de revenir, de réunion et d’expression. Non seulement ce serait perçu par les terroristes comme un signe de victoire mais, cela contribuerait à maintenir la psychose au sein de la population avec des conséquences néfastes sur la production, la distribution et la consommation des biens et services. Parallèlement au renforcement des services de renseignement, il faudrait aussi prendre d’une part des mesures de dé-radicalisation des prédicateurs, des leaders d’opinion et des autorités parentales et d’autre part, des mesures de réconfort pour les victimes à travers la mise sur pied des équipes multidisciplinaires d’animation sociale.
Problèmes politiques à résoudre
Le premier problème à résoudre est l’absence de politique religieuse qui permettrait de gérer les différentes croyances en présence dans le pays. La laïcité n’étant pas synonyme de pensée liberticide, il convient d’encourager l’émergence de l’interprétation modérée des textes et pratiques religieux (Islam, christianisme, animisme) en vue de contrer le fondamentalisme.
Le deuxième problème est l’échec des politiques économiques appliquées depuis au moins 30 ans suivies de la paupérisation de l’arrière-pays. Deux fonctions de l’Etat sur trois, selon Musgrave (1989), à savoir l’allocation des ressources et la redistribution des richesses, ont été assumées de façon inappropriée : les ressources étaient centralisées alors que plus de 65% de la population vivaient en zone rurale ; la redistribution était politico-administrative (équilibre régional), ce qui avait plutôt favorisé la gestion patrimoniale dans un pays où plus de la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Il convient tout simplement de décentraliser la gestion des ressources et de redistribuer les richesses et non plus les postes dans l’administration centrale.
Le troisième problème est l’échec de la politique éducative, notamment celle de la formation des mineurs. Jusqu’en 2015, les enfants ne sont pas formés en zones rurales pour s’auto-employer en transformant leurs environnements naturels respectifs (lycées professionnels) mais, pour devenir en majorité fonctionnaires ou travailler dans la bureaucratie urbaine (enseignement général). Or, comme l’Etat ne peut pas recruter tout le monde malgré le recrutement direct de plus de 35 000 agents publics depuis 2011, le désespoir social persiste dans la mesure où la population active (plus de 18 ans) tourne autour de 52% dans un pays de plus de 22 millions d’habitants. Il convient de rendre l’éducation des mineurs (moins de 18 ans) obligatoire afin de limiter leur manipulation et de former les majeurs (plus de 18 ans) à l’entrepreneuriat privé afin qu’ils puissent être capables de transformer leurs environnements naturels pour vivre (décemment) sans se compromettre.
Le quatrième problème est l’absence de libre compétition dans la course au pouvoir et la création des frustrations politiques, terreaux fertiles pour le soutien du terrorisme. En l’état, l’esprit du parti unique oblige les cadres à respecter la « discipline du parti » qui suppose, dans le cas du Cameroun, le respect du choix du Président national qui se fait attendre jusqu’à la minute du vote. Il convient d’instaurer la transparence dans la prise des décisions publiques en vue de délier le destin d’un pays de celui d’un individu et de tourner résolument la page des hommes forts (père de la Nation) pour écrire celle des institutions fortes où des personnalités peuvent défiler sans avoir la possibilité de compromettre les intérêts publics. Il convient surtout d’affaiblir le présidentialisme qui concentre le pouvoir sur une personne (président de la République) en vue de le redistribuer entre plusieurs institutions démocratiques accessibles à plusieurs personnes.