Le Maroc a fait face, le 28 avril à Marrakech, à l’attentat le plus meurtrier depuis celui de Casablanca en 2007. Les services de police traquent deux suspects identifiés. Les islamistes sont pointés du doigt. Et le mouvement du 20 février met en garde contre une manipulation politique.
D’abord considéré comme un incident lié à l’explosion d’une bombonne de gaz, les autorités marocaines ont ensuite ouvertement évoqué la responsabilité d’Al-Qaida dans l’attaque à la bombe qui a dévasté le 28 avril le café Argane de la place Jamâa el-Fna, à Marrakech, qui a fait 16 morts et 25 blessés. Deux portraits robots ont été établis grâce aux témoignages de touristes.
Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a déclaré, jeudi, sur France Info, que l’un des deux suspects aurait été interpellé. Son signalement correspondrait au portrait-robot établi par les enquêteurs et serait en ce moment interrogé par la police marocaine. Il serait l’auteur du meurtre d’Hassan, un jeune marocain poignardé le 16 avril 2011 à Tanger. Une information toutefois démentie par l’Agence française de presse (AFP) qui déclare qu’un responsable judiciaire proche de l’enquête lui a confié que « l’enquête est en cours et qu’aucune personne n’a encore été arrêtée, contrairement à ce qui a été dit ici et là. »
Evidemment, les regards se tournent d’abord du côté des islamistes radicaux, alors même que cet attentat intervient quelques jours après la grâce royale du 14 avril. Une grâce ayant permis la libération de 190 prisonniers politiques, dont 14 salafistes parmi lesquels figurait Ahmed Fizazi, condamné à trente ans de prison pour avoir inspiré les attaques terroristes du 16 mai 2003, à Casablanca, qui ont tué 45 personnes dont 12 kamikazes.
Al Adl Wal Ihsane condamne
L’un des plus importants mouvements islamistes du Maroc, Al Adl Wal Ihsane (Justice et bienfaisance), interdit mais toléré et présidé par le cheikh Abdessalam Yassine, a fermement condamné, vendredi, l’attentat de Marrakech. «Nous condamnons cet acte barbare quels qu’en soient les responsables, et réaffirmons note rejet de toute forme de violence», a affirmé Justice et bienfaisance, dans un communiqué. «Nous tenons à exprimer notre douleur après cet attentat et appelons à ce que les atteintes aux droits de l’homme qui ont suivi les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca ne se reproduisent pas», a-t-il ajouté. « Nous demandons au peuple marocain de ne pas être perturbé par cet acte barbare et de poursuivre de manière vigilante et pacifique la marche conduisant à la chute de l’autoritarisme », a poursuivi l’organisation dans son communiqué. Justice et bienfaisance affirme que ses actions sont éloignées de celles perpétrées à Marrakech.
En février 2007, une centaine de militants de ce mouvement islamiste a été arrêtée dans différentes villes marocaines dans le cadre d’une vaste campagne de prévention d’attentats terroristes. Une opération qui s’est déroulée quelques semaines avant l’attentat d’un cybercafé, le 11 mars, à Casablanca, faisant un mort parmi les kamikazes, et l’attentat raté de Meknès en août de la même année.
Khalid Naciri, ministre marocain de la Communication et porte-parole du gouvernement, a déclaré vendredi que, dans l’enquête sur l’attentat de Marrakech la semaine dernière, « toutes les pistes sont à explorer, y compris celle d’Al-Qaïda ». Jeudi, le ministre de l’Intérieur marocain, Taïb Cherqaoui, a stigmatisé « un acte terroriste » et a précisé que « le Maroc est confronté aux mêmes menaces qu’en mai 2003 ».
Les réseaux djihadistes chercheraient très certainement à s’implanter de nouveau au Maghreb. Le mode opératoire orchestré dans l’attentat de la semaine dernière laisse penser que des extrémistes islamistes en sont à l’origine. Selon Jean-Yves Moisseron, rédacteur en chef de la revue spécialisée Maghreb-Machrek, la place Jamâa el-Fna est une cible privilégiée des terroristes de par son « mode de vie sulfureux ». De plus, le restaurant l’Argana est très fréquenté par les étrangers. « L’attentat fait en outre suite à une tentative de l’Aqmi depuis plusieurs mois d’installer une cellule au Maroc. Il y a eu des arrestations récentes de Marocains au Mali », assure-t-il. Il y quelques semaines l’Aqmi a menacé de s’attaquer aux intérêts marocains pour protester contre la détention de militants islamistes.
Le Mouvement du 20 février accuse
Hier, le Mouvement du 20 février, un réseau de cyber-militants marocains formé sur Facebook pour réclamer davantage de démocratie au Maroc, et avec lequel le mouvement Justice et Bienfaisance se dit être solidaire, a organisé un sit-in sur la Place des nations à Tanger pour dénoncer une manipulation politique. Plusieurs slogans et pancartes ont accusé sans détour les services marocains d’être à l’origine de l’attentat de Marrakech. Sur les slogans, l’on pouvait lire : « 16 mai dertouha, fe Marrakech 3awedtouha » (« le 16 mai vous l’avez fait », en référence aux attentats de Casablanca du 16 mai 2003 et « à Marrakech vous l’avez répété »), « Had chaab mrezen, al irhab del makhzen » (« ce peuple est sage, le terrorisme est du Makhzen »), ou encore « Be tafjir o taadib, chowahtou al maghrib » (« avec les explosions et la torture, vous avez souillé l’image du Maroc »).
Sur le site Internet Le Monde des Religions, Mohamed Fadil Redouane, spécialiste de l’islamisme au Maroc, doctorant à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Paris-Sorbonne), avertit notamment que « la théorie du complot est plausible ». « Cette hypothèse si elle est pour l’instant invérifiable, est plausible, parce qu’elle permettrait à une partie du pouvoir de reprendre la main, de décrédibiliser les islamistes et de maintenir une certaine pression sécuritaire sur le peuple marocain tout en le détournant de ses velléités démocratiques auxquels il semblait jusqu’à présent farouchement accroché », a ajouté le chercheur.
« Le printemps du Maroc va continuer ! »
Depuis le début des manifestations, le Mouvement du 20 février est resté pacifique et aucune menace terroriste n’a été proférée. Il semble donc que cet acte terroriste entrave l’action des jeunes de la société plutôt qu’elle ne les aide. Des jeunes du mouvement ont organisé vendredi un sit-in à Marrakech afin de dénoncer l’attentat meurtrier de la veille. Kenza, membre du Mouvement du 20 février à Marrakech, a assuré que la lutte pour la démocratie « ne s’arrêtera pas, le printemps du Maroc va continuer ! »