Assia Djebar, née en 1936 à Cherchell, en Algérie, entre à l’Académie française. C’est la première fois qu’une personnalité maghrébine est élue parmi les 40 « Immortels » de l’institution. Une place mérité pour cette intellectuelle des deux rives, pionnière de la cause des femmes en Algérie.
C’est la première personnalité maghrébine à entrer à l’Académie française. Assia Djebar, 69 ans, remplace Georges Vedel, mort en février 2002, et devance de quelques voix l’écrivain Dominique Fernandez. Assia Djebar, auteur prolifique de romans, essais, poésies, nouvelles, théâtre, fait désormais partie des 40 « Immortels » de la vénérable institution. Cette femme de caractère, profondément féministe au sens noble du terme, est une pionnière de la cause des femmes en Algérie. Luttant contre les courants rétrogrades et pour l’émancipation féminine dans le monde arabo-musulman, on a souvent qualifié son écriture de « résistance ». Exilée volontaire, vivant entre la France et les Etats-Unis, ont dit aussi son écriture « nomade » ou « de transhumance ».
Assia Djebar est tout cela à la fois et bien plus. Historienne, recueillant la mémoire des femmes de son pays, amoureuse de la langue française, qu’elle a fait sienne dans son écriture, poète, témoin…. C’est une femme de culture mais aussi de double-culture : « Ayant reçu mon éducation scolaire dans une institution francophone, j’ai étudié le grec et les langues latines, qui constituèrent dès lors une influence majeure dans mon évolution intellectuelle. Malgré cela, mon affect a toujours été directement lié au monde arabe, à ses traditions, tant sociales que culturelles. Je sais aujourd’hui qu’on peut écrire dans une langue étrangère, l’intégrer à notre imaginaire sans pour autant rompre avec ses racines », explique-t-elle.
De Cherchell à la Louisiane
Assia Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalyène, est née en 1936 à Cherchell, près d’Alger. Après l’école coranique et l’école primaire à Mouzaïa, elle poursuit ses études secondaires à Blida, à Alger et entre en khâgne à Paris. Elle est la première Algérienne à intégrer l’Ecole Normale Supérieure de Sèvres en 1955. Elle interrompt ses études en 1956, en pleine guerre d’Algérie, au moment de la grève des étudiants algériens, et entame sa carrière littéraire : en 1957, à 21 ans, elle publie son premier roman, La Soif. Qui sera suivi en 1958 par Les Impatients. Mariée à un résistant algérien, elle le suit dans son exil à Tunis, où elle travaille en tant que journaliste pour El Moudjahid. Elle part au Maroc en 1959 où elle enseigne l’histoire de l’Afrique du Nord à l’université de Rabat.
De retour à Alger en 1962, elle y sera également prof d’histoire à l’université. Parallèlement, elle poursuit son œuvre d’écrivain. En 1967 sortent Les Enfants du nouveau monde et Rouge l’aube. Puis, en 1977, elle réalise son premier film La Nouba des femmes du Mont Chenoua, primé au Festival de Venise en 1979. Etablie en France après 1980, elle travaille au centre culturel algérien, à Paris, écrit Femmes d’Alger dans leur appartement et sort en 1982 son deuxième long métrage, La Zerda ou les chants de l’oubli. Côté livres, elle enchaîne L’Amour, la fantasia (1985), Ombre sultane et Loin de Médine (1987). De 1997 à 2001, elle dirige le Centre d’études françaises et francophones de la Louisiana State Institute avant d’enseigner à l’Université de New-York.
Moisson de décorations
Traduite dans une quinzaine de langue, elle fut primée à plusieurs reprises. Elle a notamment reçu en 2000 le Prix de la paix attribué par les éditeurs et libraires allemands pour une œuvre littéraire qui plaide « en faveur des femmes des sociétés musulmanes ». En 2004, elle est pressentie pour le prix Nobel de littérature aux côtés de l’Américaine Joyce Carol Oates. Docteur honoris causa des Universités de Vienne (1995) et de Concordia (Montréal, en 2000), elle a été élue en 1999 à l’Académie royale de Belgique, au siège de Julien Green, avant d’être nommée Commandeur des Arts et des Lettres en France, en 2001, et de recevoir la Grande médaille de la Francophonie, décernée par l’Académie française.
Son dernier livre, La femme sans sépulture (2002), est un hommage à une héroïne de la guerre d’Algérie dont les enfants n’ont jamais pu enterrer le corps… Assia Djebar n’a pas fini d’être résistante. La chercheuse et professeur de littérature Beïda Chikhi résume : « Ecrivain-femme porte-parole des femmes séquestrées, écrivain-témoin d’une époque historique, écrivain stimulant la mémoire des aïeules et secouant les archives, écrivain parcourant son corps et surprenant le couple, Assia Djabar est aussi écrivain-architecte qui éprouve les structures, confectionne des objets linguistiques ».
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