Il incarne, par sa jeunesse et son implication, cette révolution égyptienne qui s’est déroulée sous les yeux du monde Place Tahrir. Asser Yassin a mis son art et sa personne au service du bouleversement politique en Egypte. Le comédien, présent dans deux courts métrages – #tahrir2/2 de Maria Abou Ouf et Interior/Exterior de Yousry Nasallah -, de l’œuvre collective 18 jours présentée au festival de Cannes, veut préserver les acquis de cette révolution en tant que citoyen et artiste. Entretien.
Trentenaire, Asser Yassin a fait des études d’ingénieur en mécanique. Mais dès sa deuxième année de formation, en 2000, il se rend compte que le théâtre et la comédie l’attirent. Il obtient néanmoins son diplôme avant de se lancer dans une vraie carrière de comédien en 2004, avec des apparitions à la télévision, dans des courts métrages puis dans des fictions au cinéma.
Afrik.com : Qu’est-ce que cela représente pour vous d’avoir participé au projet cinématographique 18 jours?
Asser Yassin : C’est très important. Nous y avons participé parce que nous voulions raconter ce qui c’est vraiment passé d’autant qu’à l’époque, il y avait une mainmise du régime sur les médias nationaux qui diffusaient des messages de propagande. Et puis, nous étions sur la place Tahrir, nous avons pris part à cette révolution et nous avons filmé ce qui s’y déroulait pour le diffuser sur le Net.
Afrik.com : Quand avez-vous été contacté pour ce projet ?
Asser Yasin : Début février, avant la chute de Moubarak. Mais nous ne savions pas encore comment les évènements se dérouleraient et comment tout cela finirait.
Afrik.com : Que ressent le comédien qui ne vivra plus sous Moubarak ?
Asser Yassin : Plus de liberté, un avenir prometteur, du moins je peux m’employer à ma modeste échelle à rendre cela possible. Avant on ne pouvait pas s’impliquer dans l’avenir du pays parce qu’il y avait beaucoup de corruption. Nous voulions tous partir mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Notre futur est désormais entre nos mains. Nous avons instauré de nouvelles règles et nous allons nous battre pour les préserver.
Afrik.com : Vous avez joué la comédie avant et après Moubarak, notamment dans ces courts métrages. Sentez-vous une différence, ne serait-ce que du point de vue de la censure ?
Asser Yassin : Ma génération est celle qui a perdu tout espoir, celle qui a été le plus affectée par le régime Moubarak. C’est pour cela que c’est elle qui s’est rebellée. Nous n’avions aucun espoir de changement, pas d’avenir. En ce qui me concerne et pour ce qui est de ma carrière professionnelle, rien n’a changé parce que dans tous les personnages que j’ai incarnés, j’ai tenté de marquer la différence. Pour en revenir à la censure, le film doit être montré et vu pour sa portée politique sans faire l’objet d’aucune censure. Si c’était le cas, cela mériterait une autre révolution. Le film doit et sera distribué en Egypte. Nous sommes en train de mettre en place une organisation qui a été baptisée 18 jours et qui réunit tous ceux qui ont participé à l’œuvre collective éponyme. Elle fera en sorte que les revenus générés par ces courts métrages, pour lesquels aucun de nous n’a été payé, soient consacrés à l’éducation, à des actions de développement et aux martyrs de la révolution égyptienne.
Afrik.com : La révolution égyptienne s’est considérablement servie du Net. Et, à ce titre, on pourrait se demander si une révolution pourrait utiliser les mêmes moyens en Afrique sub-saharienne où la connectivité à Internet laisse encore à désirer. On ne peut s’empêcher de penser que ce bouleversement a été initié par une classe moyenne dans un pays économiquement avancé, comparé aux autres pays du continent. Qu’en pensez-vous ?
Asser Yassin : Elle a commencé avec des gens issus de la classe moyenne mais elle s’est ensuite étendue à toutes les couches sociales et à tout le pays. Internet et les réseaux sociaux sont l’un des moyens que nous avons utilisés. La connexion a été interrompue pendant près d’une semaine mais cela n’a pas perturbé le mouvement. En définitive, une révolution ne nécessite qu’une seule chose : le peuple. Tout le monde était place Tahrir. C’est la plus brillante des révolutions auxquelles on ait jamais assisté. Si l’on devait écrire un script sur un évènement extraordinaire, il devrait être basé sur la révolution égyptienne qui est un exemple de courage.
Afrik.com : Racontez-moi votre révolution à vous ? Comment avez-vous passé ces 18 jours et dans quelles circonstances êtes-vous arrivé la première fois sur la place Tahrir ?
Asser Yassin : J’étais là tous les jours et j’ai passé deux nuits sur la place Tahrir. Je n’ai pas de profil Facebook mais j’avais entendu dire qu’il y avait une manifestation le 25 janvier. J’y suis allé pour voir. Avant, il y avait eu la révolution tunisienne et tous ces gens qui l’avaient menée en criant « Dégage ! ». Avec nos « Moubarak, go ! », je me suis dit que quelque chose se produisait. Du 25 janvier au 11 février, j’étais sur la place et quand je la quittais, c’était pour rapporter et raconter sur le Net, ce qui s’y produisait afin de sensibiliser les gens. Notre mission était de faire écho à cette révolution. Nous avions des réunions place Tahrir, des images étaient tournées, puis mises en ligne pour sensibiliser l’opinion. Nous disions aux gens qu’il n’y avait pas seulement des islamistes, des coptes, des voyous au autres place Tahrir , mais que tous les Egyptiens étaient là. Nous voulions montrer les vraies images pour contrecarrer celles que les médias publics diffusaient.
Afrik.com : Vous avez été très actif dans cette révolution…
Asser Yasin : J’y ai participé en tant que simple citoyen mais je me suis rendu compte que notre présence du fait de notre notoriété, à cause de la télévision, donnait du crédit au mouvement de protestation et encourageait les manifestants. Les gens savent que vous êtes là et ils viennent.
Afrik.com : La transition n’est pas encore terminée et ne paraît pas toujours aisée, alors que même l’armée s’est rangée du côté des manifestants ? Pourquoi?
Asser Yasin : Par le passé, l’Egypte était incarnée par Hosni Moubarak et son régime. Aujourd’hui, toutes les formations et les courants politiques aspirent à représenter le nouveau visage de l’Egypte : l’armée veut le pouvoir, la police d’Etat veut revenir aux affaires, les islamistes, les communistes… En Egypte, on parle désormais de démocratie et il s’agit de faire en sorte de franchir toutes les étapes nécessaires à sa construction, notamment les élections.
Afrik.com : Vous vous sentez le gardien de cette liberté conquise place Tahrir ?
Asser Yassin : Je ne suis pas un gardien mais j’ai la responsabilité, parce que j’ai participé à cette révolution depuis le début, de la poursuivre. Je ne suis pas un politicien et je n’ai pas l’intention de le devenir comme d’autres artistes qui ont activement participé à la révolution. Je ne m’implique pas dans la politique mais je m’investis quand il s’agit de sensibiliser les gens à cette révolution, nous avons fait un film… Le plus important est que nous soyons de nouveau unis parce que le régime de Moubarak nous avait divisés.