Assassinat de Ben M’hidi : la reconnaissance controversée de Macron entre Algérie et Maroc


Lecture 5 min.
Tebboune, Macron et Mohammed VI
Tebboune, Macron et Mohammed VI

En reconnaissant la responsabilité de la France dans l’assassinat du chef du FLN Larbi Ben M’hidi en 1957, Emmanuel Macron espérait peut-être marquer un pas en avant dans la réconciliation mémorielle avec l’Algérie. Mais cette démarche, annoncée à l’occasion du 70e anniversaire de la guerre d’indépendance algérienne, soulève des critiques acerbes. Elle est perçue comme une tentative cynique de compensation pour son rapprochement récent avec le Maroc sur la question du Sahara occidental.

Le 1er novembre, Emmanuel Macron a officiellement admis que Larbi Ben M’hidi avait été « assassiné par des militaires français placés sous le commandement du général Aussaresses ». Ce geste, censé s’inscrire dans un « travail de vérité historique » en partenariat avec le président algérien Abdelmadjid Tebboune, n’a toutefois pas eu l’effet escompté de l’autre côté de la Méditerranée. En Algérie, beaucoup y voient une démarche opportuniste visant à adoucir les relations bilatérales, mises à mal par le soutien affiché de la France à la position marocaine sur le Sahara occidental.

L’annonce a été perçue comme une énième « entourloupette » de Macron, qui utiliserait la mémoire de Ben M’hidi comme une « monnaie d’échange » pour apaiser la colère algérienne après son virage pro-marocain. Selon l’historien Hosni Kitouni, ce communiqué de l’Elysée reconnaissant l’assassinat de Ben M’hidi n’est qu’un geste isolé, qui masque une véritable abdication de la France sur le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. « À quoi sert une reconnaissance si elle n’est pas accompagnée de réparations ? », s’interroge Kitouni qui dénonce un geste symbolique, une tentative de diversion pour tenter d’apaiser l’Algérie. En outre, Fabrice Riceputi, historien français spécialiste de la guerre d’Algérie, a aussi dénoncé ce qu’il appelle le « tropisme typiquement macronien », consistant à éviter soigneusement d’impliquer directement l’État français dans les crimes coloniaux. En effet, la reconnaissance de l’Etat français n’apparait pas dans le communiqué qui fait porter la responsabilité à Aussaresses uniquement.

Les zones d’ombre de l’assassinat de Ben M’hidi

Six chefs du FLN avant le déclenchement de la «Révolution du 1er novembre 1954 ». Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohammed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M'Hidi à droite
Six chefs du FLN avant le déclenchement de la «Révolution du 1er novembre 1954 ». Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohammed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M’Hidi à droite

L’histoire de l’assassinat de Ben M’hidi illustre parfaitement les zones d’ombre de la guerre d’Algérie. Arrêté dans la nuit du 23 au 24 février 1957 pendant la « Bataille d’Alger« , ce membre fondateur du FLN et du Comité de Coordination et d’Exécution (CCE) fut officiellement déclaré comme s’étant suicidé dans sa cellule le 4 mars 1957. La vérité n’émergea qu’en 2001, lorsque le général Aussaresses reconnut dans son livre « Services spéciaux, Algérie 1955-1957 » avoir organisé son exécution, maquillée en suicide par pendaison, une pratique alors courante.

Comme l’expliquait l’historien Benjamin Stora : « La mort de Ben M’hidi symbolise toute l’ambiguïté de la position française pendant la guerre d’Algérie : d’un côté, on affirme mener une guerre pour maintenir l’Algérie française, de l’autre on assassine clandestinement ceux qui auraient pu être des interlocuteurs dans une négociation. » Cette observation prend tout son sens quand on sait que Ben M’hidi était considéré comme l’un des dirigeants les plus modérés du FLN, potentiellement capable de négocier avec la France.

Un contexte politique tendu et des arrière-pensées diplomatiques

Les critiques en Algérie vont au-delà de cette reconnaissance ponctuelle. Plusieurs voix, comme celle du journaliste politique Otman Lahiani, rappellent que la « politique du goutte-à-goutte » de Macron ne satisfait personne. Beaucoup réclament une reconnaissance globale et sans concessions des crimes de la colonisation française, plutôt que des gestes sporadiques qui ne font qu’irriter davantage une population toujours marquée par les blessures du passé. Combien de crimes encore à avouer ?

Cette reconnaissance survient dans un contexte où les relations franco-algériennes sont sous tension, exacerbées par la position française sur le Sahara occidental. Le soutien surprise affiché par Macron à la position marocaine sur ce territoire a créé une onde de choc en Algérie, qui soutient le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Aux yeux des observateurs algériens, ce rapprochement entre Paris et Rabat sur cette question cruciale est perçu comme une « trahison » de la France envers le peuple sahraoui.

En abandonnant le Sahara occidental à la domination marocaine, Macron trahit le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui pour des gains diplomatiques et économiques dénoncent de nombreuses ONG . Ainsi, pour les Algériens, la reconnaissance tardive de l’assassinat de Ben M’hidi semble davantage motivée par le désir de réparer ce coup porté aux relations algéro-françaises qu’à une réelle volonté de réconciliation mémorielle.

Vers une réconciliation mémorielle ou une manipulation politique ?

Si la France souhaite réellement renouer avec l’Algérie, une reconnaissance plus complète des crimes commis durant la colonisation et une prise de responsabilité de l’État semblent nécessaires. Autrement, ce travail de mémoire risque de renforcer le sentiment que Paris instrumentalise l’histoire à des fins diplomatiques.

En fin de compte, le geste de Macron, loin d’apaiser les tensions, aggrave la défiance envers la France. Le peuple algérien attend une reconnaissance sincère et complète, non dictée par des impératifs politiques. L’assassinat de Ben M’hidi, figure modérée qui aurait pu faciliter le dialogue, reste emblématique de cette période trouble où la France a sacrifié les possibilités de négociation au profit d’une répression aveugle.

Faute d’une reconnaissance plus globale, ce nouvel épisode de la relation franco-algérienne risque de creuser davantage le fossé mémoriel qui sépare les deux nations.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News