Jugé comme une « farce » par certains, le départ de Dalil Boubakeur du Conseil français du culte musulman a permis de lancer un message explicite au ministre français de l’Intérieur…
Marasme au CFCM. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris (GMP), claque la porte du Conseil français du culte musulman (CFCM). Ce dernier a annoncé le retrait de ses deux représentants au sein du bureau exécutif, composé de 15 membres. Officiellement créé et soutenu par l’ancien président français Nicolas Sarkozy en 2003, alors ministre de l’Intérieur, le CFCM est une association censée être le représentant des musulmans de France, et ce, même si bon nombre de musulmans en France rejettent cette idée. Le recteur de la grande mosquée dénonce les « graves dysfonctionnements du CFCM et sa gouvernance autocratique ». Voilà quelques temps déjà que le CFCM fait l’objet d’un projet de réformes. Mais après quelques changements d’alliances et de nombreuses réunions, rien n’a encore été décidé. C’est ce qui aurait agacé Dalil Boubakeur : « Un premier délai a été fixé au 31 décembre, puis repoussé au 15 mars, et aujourd’hui, à la veille du Ramadan, qu’y a-t-il ? Rien », s’insurge Dalil Boubakeur, qui estime avoir déjà fait preuve d’une « longue patience », selon La Croix. « J’en ai assez de crier dans le vide. Même malade, je défendrai la Grande mosquée de Paris, qui est ma passion et toute ma vie », tonne le recteur.
Cette décision intervient sans même que « le bureau national, ni le Conseil d’administration de la Grande mosquée » n’aient été informés. Même son de cloche du côté du CFCM. Le président du CFCM, Mohammed Moussaoui, s’est déclaré « choqué » avant d’ajouter que la décision de la GMP avait été « prise sans concertation préalable ».
Un conflit maroco-algérien en territoire français ?
Les tensions au sein du CFCM ne datent pas d’hier. En réalité, les membres du CFCM expriment publiquement leurs désaccords à propos du modèle électoral et de ses règles de gouvernance depuis sa création le 28 mars 2003. Il est à noter que le conseil d’administration est élu pour trois ans par des délégués des mosquées en France dont le nombre est déterminé uniquement par la surface des lieux de culte. Le conseil élit ensuite le bureau exécutif qui élit à son tour le président du CFCM. Certains feront très certainement allusion à la course aux constructions de « mosquées-cathédrales ».
Le contact entre le Rassemblement des musulmans de France (RMF), proche du Maroc, et la Fédération de la Grande mosquée de Paris, proche de l’Algérie, est, toujours selon le quotidien La Croix, rompu depuis plusieurs mois. La Grande mosquée, construite après la Première Guerre mondiale afin de rendre hommage aux milliers de combattants musulmans morts pour la France, est censée occuper une place symbolique pour la visibilité de l’Islam et des musulmans. Mais il règne comme un sentiment de « marginalisation » depuis l’arrivée du Franco-Marocain Mohammed Moussaoui (du RMF, ndlr) à la tête du CFCM. D’ailleurs, Dalil Boubakeur a lancé un message fort : « les graves dysfonctionnements du CFCM et sa gouvernance autocratique, qui a tenté de minorer la surface et l’influence de la Grande mosquée de Paris, sont les principales raisons ayant contraint notre institution à prendre cette décision ». Selon le site Internet Al Kanz, Boubakeur a lancé un message clair à Manuel Valls, ministre de l’Intérieur : « que la mosquée de Paris n’est pas disposée à laisser plus encore le RMF, et donc le Maroc, influencer l’islam en France ». Dalil Boubakeur prend toutefois soin de ne pas attaquer « frontalement » le président du CFCM qu’il « apprécie » comme un « frère » mais qu’il considère comme un « prisonnier d’un système conçu par l’administration pour éliminer la Mosquée de Paris ».
Alors que la plupart des médias estiment que le processus de réforme des instances musulmanes entamé par le Conseil au printemps 2011 risque d’être fortement ralenti suite au départ de la Grande mosquée de Paris, il est fort probable que cet électro-choc produise les effets contraires. Dalil Boubakeur n’a d’ailleurs pas exclu l’hypothèse de revenir au CFCM. Toujours selon Al Kanz qui qualifie de « farce » ce retrait du CFCM, Dalil Boubakeur devrait prochainement expliquer pourquoi « il est nécessaire que la mosquée de Paris reste dans le CFCM. Le temps que Manuel Valls le rassure et rassure l’Algérie ».