Un oiseau nigérian a atterri dans la planète musique le 16 octobre dernier avec son premier album baptisé, comme elle, Asa. Afrik.com est allé à la rencontre de cette petite chose de 25 ans qui crie si fort sa soif de musique. À la découverte d’une fière lagotienne « made in Paris ». Elle sera en concert dans la capitale française, les 5 et 6 novembre prochains, à la Boule Noire.
Bukola Elemide, alias Asa (prononcez « Asha », un nom qui signifie « faucon » en yoruba), est un jeune chanteuse nigériane née en 1982 à Paris alors que son père y poursuit ses études. Elle repart à l’âge de deux ans pour le Nigeria sans avoir eu le temps d’apprendre vraiment la langue de son pays de naissance. Les études, ses parents les lui réclameront aussi avant de la laisser voguer de ses propres ailes dans la voie qu’elle a choisie. Asa en profitera pour se perfectionner à la guitare dans l’école de musique du saxophoniste Peter King. Une bourse d’études de l’Association française d’action artistique (Afaa), obtenue en 2004, dans le cadre de son programme « Visa pour la création », va définitivement bouleverser son destin artistique.
Le cycle de professionnalisation qui lui est alors offert l’amène à côtoyer, par exemple, Manu Dibango. Animée d’une soif inextinguible d’apprendre et de découvrir, Asa se révèle dans un album de 12 titres où ses racines yoruba, langue dans laquelle elle chante, donnent une note très chaude à une voix qui se met au service de son propos. Tantôt enragé, tantôt apaisé. Ce périple musical qu’elle effectue avec celui qu’elle considère comme son alter ego, son compatriote Cobhams Emmanuel Asuquo dénote d’un esprit conscient des maux de son époque, de son pays et de son continent.
Afrik.com : Vous faites de la musique depuis que vous êtes toute jeune. Quel a été le déclic selon vous ?
Asa : Je ne sais vraiment pas. Mes parents m’ont affirmé que je chantais avant même d’en prendre véritablement conscience. C’est peut-être en écoutant les disques que mon père jouait à la maison. Il travaillait comme chauffeur à l’ambassade du Nigeria en France tout en faisant ses études pour apprendre à faire de la vidéo. Quand il est retourné dans son pays, il utilisait beaucoup de musique pour ses vidéos et pas des moindres. On écoutait à la maison du Fela, du Marvin Gaye, Bob Marley… Ce qui est certain, c’est que cela vient de ce monde-ci, pas d’ailleurs.
Afrik.com : Et la guitare ?
Asa : J’ai toujours aimé la guitare, mais je n’en ai jamais eue quand j’étais enfant. J’avais ma guitare imaginaire et ma musique dans la tête. Devenue adulte et avec le petit pécule que je me faisais par-ci, par-là, ma revanche a été de m’en acheter une.
Afrik.com : Vous vous êtes adressée à l’Association française d’action artistique pour faire connaître votre œuvre. Pourquoi Paris et non pas Londres, par exemple ?
Asa : J’ai été beaucoup encouragée par le centre culturel français à Lagos où j’ai fait mes premiers pas sur scène. En 2002, je suis venue en France dans le cadre d’un projet jazz entre la musique française et la musique nigériane. Des musiciens sont venus jouer à Lagos et nous sommes venus, à notre tour, nous produire en France et montrer ce que nous avions fait ensemble. J’ai eu aussi l’occasion de découvrir d’autres styles de musique et de faire de nombreuses expériences. A la fin de mon séjour, Joël Bertrand, le directeur m’a appelée et m’a dit : « Envoie ta musique à cette femme ! » C’était Valérie Foin. Je l’ai fait sans trop y penser parce que j’avais déjà envoyé des maquettes, qui sont restées sans suite, un peu partout, à des directeurs de maisons de disques, à des gens que j’avais rencontrés… Je suis retournée au Nigeria et j’ai été appelée pour apprendre que j’avais été sélectionnée.
Afrik.com : Quand on écoute votre musique – c’est de la Soul – on ne peut s’empêcher de se dire qu’on a déjà entendu ça quelque part. On pense à Ayo, par exemple, qui est moitié Nigériane comme vous. Comment arrive-t-on à se démarquer des autres quand on fait ce que d’autres font déjà ?
Asa : Quand vous écoutez Asa, vous sentez tout de suite qu’il y a quelque chose de différent. Je suis yoruba, je suis nigériane. Ce sont là mes racines et elles sont perceptibles dans mes chansons. Faire de la musique, c’est d’abord être moi-même. Faire de la musique, et c’est comme mon nom, c’est rechercher qui je suis. J’ai écouté beaucoup de choses très différentes parce que me suis attelée a être la plus ouverte possible. Je n’ai jamais encore eu l’occasion d’écouter Ayo.
Afrik.com : Les jeunes Africains sont très influencés par la musique américaine. On a vraiment l’impression que les artistes africains, la jeune génération surtout, américanise son style pour se faire connaître sur la scène internationale…
Asa : N’importe où en Afrique, la musique américaine est omniprésente sur les ondes. Le plus important pour moi est de garder mes racines. Quel que soit l’endroit où tu vas dans ce monde, tu as une maison. Je suis fière de dire que je viens du Nigeria quand on me demande d’où je suis. Quand vous parlez d’Ayo qui est nigériane, je suis fière parce qu’elle a mis notre pays en avant. Nous devons partager nos musiques parce que c’est ainsi que nous partageons nos cultures. Nous sommes Africains et nous avons encore beaucoup de choses à transmettre, et de ça les jeunes en sont de plus en plus conscients en dépit des apparences.
Afrik.com : Quelle couleur avez-vous donné à cet album ?
Asa : Ma voie et ma mélodie. Je suis une véritable chanteuse de soul dans la mesure où je rends ce qui m’a touché comme je l’ai ressenti. L’album est également le produit d’une fusion : de la folk, du reggae et beaucoup d’autres choses… Je me présente à travers cet album : « Salut, je suis Asa ».
Afrik.com : Les artistes Nigérians sont souvent des militants. Vous l’êtes aussi quand vous parlez, par exemple, de la condition féminine dans So Beautiful. Vous dites qu’une femme, si elle souffre, ne doit pas rester dans son foyer à cause de ses enfants. Etre engagé, c’est inhérent à l’artiste nigérian ?
Asa : Fela a fait beaucoup dans ce sens et d’autres le font à leur manière. Dans cet album, je ne proteste pas encore. Je ne fais juste que partager les interrogations d’une jeune fille qui vit au Nigeria. Quel est mon avenir ? Nous espérons chaque jour que les choses changent depuis des années et rien ne bouge. Les choses qui me révoltaient lorsque j’avais 20 ans sont toujours d’actualité. Si engagée sous-entend que je suis attentive à cela, alors c’est le cas. Dans Jailer, par exemple, je dis que celui qui oppresse sera lui aussi oppressé. Ça ne vaut pas que pour le Nigeria, ça vaut pour l’Afrique, c’est valable partout dans le monde. Dans So Beautiful, je parle de ma mère. J’apprécie à sa juste valeur tout ce qu’elle a fait pour que je sois ce que je suis. En Afrique, en général, les femmes ne sont pas heureuses en ménage. On a tous cette idée en tête : une femme doit se marier. Peu importe si le mariage est bon ou mauvais. Les femmes sont battues mais elles restent à cause de leurs enfants. Dans cette chanson, je remercie ma mère pour avoir fait tout ce qu’elle a fait pour moi. Cela a positivement conditionné ma vie. Je ne sais pas où je serais aujourd’hui si ma mère n’avait pas pris soin de moi. « Ne fais pas ci, ne fais pas ça », me disait-elle. Tous ces petits conseils que les mères donnent généralement à leurs enfants.
Afrik.com : Il n’y a pas un sol mot de Français dans cet album. Pourquoi ?
Asa : (Rires) Je ne maîtrise absolument pas le français bien que j’adore cette langue. J’apprécie vraiment ce que les Français ont fait pour me permettre de développer ma musique. Je voudrais d’ailleurs apprendre cette langue.
Afrik.com : Quelles sont les attentes d’un jeune nigériane aujourd’hui, de la jeunesse en général de ce pays ?
Asa : Tout le monde veut être président pour s’enrichir. Les enfants y rêvent déjà dès leur plus jeune âge. Il y a tellement d’argent dans ce pays. J’ai toujours espéré vivre correctement et avoir une bonne éducation. Je ne vis plus chez mes parents et je suis fière de payer un loyer, d’être indépendante. Beaucoup de jeunes filles pensent plutôt à se marier. Ceux qui se réclamaient comme étant le futur du Nigeria, pensent eux aussi aujourd’hui à l’argent. Nous les Africains avons besoin de nous soigner nous-mêmes. Nos maux sont pluriels mais l’espoir est permis parce que nous avons toutes les richesses du monde. En dépit de cette mauvaise image que le monde a du continent. Nous avons une conscience, de l’amour… Si quelqu’un tombe dans la rue, un autre s’arrêtera pour l’aider à se relever. Ce n’est pas toujours le cas ici. Et puis les choses progressent, l’économie… Nous avançons. Cependant, la faim fait des gens des voleurs, des êtres en colère parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi ils sont pauvres dans des pays aussi riches. Les gens ont besoin d’être encouragés à entreprendre au lieu d’utiliser leur intelligence pour en arnaquer d’autres parce que c’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour se faire de l’argent. Ils ont besoin d’être formés. Les problèmes de l’Afrique sont profonds et la noirceur qui anime certains de nos compatriotes n’est pas toujours propice à améliorer la situation. On n’aime pas voir les autres réussir. J’espère en tout cas, à mon humble échelle, donner de l’espoir.