Neuf soldats français morts à la suite du bombardement de leur base à Bouaké, destruction immédiate des moyens aériens ivoiriens par l’armée française, escalade verbale et renforcement du dispositif militaire international : la guerre semble bien avoir repris en Côte d’Ivoire.
La sécheresse du Communiqué officiel du Président Jacques Chirac ne parvient pas à masquer l’émotion ressentie ni la gravité des événements en cours en Côte d’Ivoire. « A la suite de l’opération des forces armées ivoiriennes qui a entraîné la mort de huit soldats français et d’un citoyen américain, et blessé 23 de nos soldats, le Président de la République a demandé que soit immédiatement entreprise la destruction des moyens aériens militaires ivoiriens utilisés ces derniers jours en violation du cessez-le-feu. »
Cette action des forces françaises s’inscrit logiquement dans le cadre du mandat confié par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à l’armée française ainsi qu’aux forces de l’ONUCI, pour assurer la mise en place effective des accords de paix de Marcoussis et d’Accra.
Depuis plusieurs jours, les deux avions Sukhoï de l’armée ivoirienne avaient entrepris d’attaquer les positions des « Rebelles » des Forces Nouvelles en les bombardant l’une après l’autre, causant des dommages importants, en même temps qu’une offensive terrestre semblait s’engager autour des principaux fiefs rebelles.
Ces attaques avaient déjà conduit à des prises de positions nettes de la part de la diplomatie française, qui condamnait cette reprise des hostilités sur le terrain, les troupes françaises n’ayant plus entièrement les moyens de s’interposer et de pacifier les points chauds.
Mais c’est assurément l’agression délibérée dont ont été victimes les soldats français rassemblés dans leur camp de Bouaké qui a constitué « le bombardement de trop » pour l’aviation du Président Laurent Gbagbo. L’ordre donné par Jacques Chirac de détruire les deux Sukhoïs a été immédiatement suivi d’effet, et les deux avions ont été réduits à l’état de débris, à l’aéroport militaire de Yamoussoukro, où ils étaient basés, à 14h45, ce samedi 6 novembre. Il y a fort à parier que les hélicoptères militaires ivoiriens seraient à leur tour frappés s’ils devaient tenter de prendre le relais.
Toutefois la dégradation des relations entre le Président ivoirien et la force internationale d’interposition censée ramener la paix civile en Côte d’Ivoire pourrait encore se poursuivre. Le colonel Henry Aussavy, porte parole du contingent français, a notamment évoqué la présence de bataillons des forces armées ivoiriennes prépositionnés autour de Bouaké, et des manifestations extrêmement violentes à Man, autre ville tenue par les forces rebelles, où les gendarmes français ont été pris pour cibles.
La gravité des actions engagées ces dernières heures donne à penser que la guerre n’est plus suspendue, mais qu’elle a repris, avec comme nouvelle variable la présence de 10 000 casques bleus dont 4 000 soldats français, qui se trouvent de fait sur les lignes de front, entre les belligérants.
C’est sur l’attitude de ces troupes que l’on peut légitimement s’interroger. Jacques Chirac a clairement déclaré qu’il n’était pas question que les civils français qui se trouvent en Côte d’Ivoire soient pris à parti par des éléments incontrôlés. C’est pour assurer leur sécurité que deux compagnies supplémentaires vont rejoindre les forces françaises de l’opération Licorne.
Mais suffiront-elles à apaiser une situation éruptive, où les attaques militaires des forces armées ivoiriennes se combinent depuis quelques jours avec des manifestations violentes incendiant ou saccageant les sièges des partis politiques d’opposition, aussi bien que les lycées ou autres établissements d’enseignement français?
La question mérite d’être posée : Laurent Gbagbo, qui n’avait jamais vraiment fait siennes les résolutions de Marcoussis – pas plus qu’il n’avait accepté réellement les accords successifs signés à Accra- semble avoir décidé de s’engager dans un bras de fer militaire décisif contre les rebelles. Il peut désormais être clairement tenu pour responsable de l’évolution de la situation, c’est également ce qu’a voulu signifier le président de l’Union Africaine, Olusegun Obasanjo, à l’issue d’une réunion avec Alpha Oumar Konaré, en appelant l’ONU à renforcer « le mandat de l’ONUCI » pour que les troupes étrangères présentes en Côte d’Ivoire puissent effectivement répliquer aux violations du cessez-le-feu. »
Quelle sera désormais l’attitude de la Communauté internationale, et en premier lieu de la France, qui s’était fortement engagée pour offrir au conflit civil ivoirien une sortie honorable pour tous. La voie médiane de la sagesse et de la conciliation générale risque bien de s’être révélée aujourd’hui une impasse. Une impasse, au fond de laquelle brille déjà malheureusement une première flaque de sang.