Les avocats des six Français inculpés dans l’affaire de l’Arche de Zoé plaident au Tchad pour un traitement strictement judiciaire du dossier. Alors qu’ils se battent pour obtenir une requalification de l’inculpation de leurs clients, La Lettre du Continent publie une note prouvant que le ministre français de la Justice avait été informé des intentions de l’Arche.
Nicolas Sarkozy a manqué une occasion de se taire. Cette phrase résume en substance la position des trois avocats français partis mardi au Tchad pour défendre les membres de l’Arche de Zoé inculpés pour « enlèvement de mineurs » et « escroquerie ». Si Me Gilbert Collard, Me Céline Lorenzon et Me Olivier Desandre-Navarre sont remontés, c’est à cause de la sortie du président juste avant leur départ. « J’irai également chercher ceux qui restent, quoi qu’ils aient fait », avait-il annoncé, provoquant l’ire des plus hautes autorités tchadiennes.
« Cette déclaration nous complique la vie »
« Cette déclaration nous complique la vie, c’est aussi l’opinion de nos confrères tchadiens. (…) Des blessures narcissiques graves ont été faites à la dignité de la justice tchadienne et nous sommes obligés maintenant de travailler en tenant compte de cette maladresse narcissique », a déclaré à la presse Me Gilbert Collard. L’homme de loi a par ailleurs appelé à une dépolitisation de l’affaire. « Il faut qu’on oeuvre tous (…) dans le respect des juges tchadiens, de la justice tchadienne, de la population tchadienne à avoir un dialogue de respect entre des hommes de loi et d’autres hommes de loi, en laissant la politique ailleurs. (…) Moins il y aura de politique, mieux nos compatriotes se porteront », a-t-il souligné.
Un avis que partagerait sans doute le président de l’Union Africaine, Alpha Oumar Konaré, qui a pour sa part indiqué, mercredi, qu’il était « indispensable que le dossier de « l’affaire de l’Arche de Zoé » soit traité dans le respect de la souveraineté du Tchad et des institutions tchadiennes, conformément aussi aux respects des droits de l’homme et de l’Etat de droit. (…) L’Afrique ne saurait être la terre des sans-loi et du non-droit, la terre de toutes les aventures et de tous les aventuriers, la terre de nouveaux messies ».
« Eviter la qualification de crime »
Les trois avocats français et leur confrère tchadien, Me Abdou Lamian, doivent lancer, ce jeudi, les démarches permettant de requalifier les faits reprochés à leurs clients. L’objectif est d’« éviter la qualification de crime » et de « passer au délit » d’enlèvement et détournement de mineurs de moins de quinze ans commis sans fraude ni violence. Cela permettrait aux accusés, dont les défenseurs travaillent à la remise en liberté à cause de leurs « mauvaises conditions » de détention, d’encourir de deux à cinq ans de travaux forcés, contre 5 à 20 ans en l’état actuel des choses.
Tous les acteurs et complices présumés de l’exfiltration avortée de 103 enfants du Tchad vers la France ont été entendus par le juge d’instruction : neuf Français, dont trois journalistes, neuf Espagnols, un pilote belge et quatre Tchadiens (un sous-préfet, un chef de quartier, le maire et le secrétaire général de la mairie de Tiné, une localité tchadienne frontalière du Soudan d’où les enfants ont été acheminés à Abeché). Les quatre hôtesses de l’air espagnoles et les trois journalistes ont été rapatriés dimanche, mais restent inculpés.
Rachida Dati avertie
A noter que la journaliste de France 3, Marie-Agnès Peleran, qui a assisté à l’opération de l’Arche pour raisons professionnelles et personnelles, a fait part de ses regrets concernant cette affaire « au vu des conséquences et en particulier des conséquences pour les enfants ». Membre du Collectif des familles d’orphelins du Darfour, elle a expliqué qu’« au fur et à mesure », elle a réalisé que « l’action était trop rapide, que l’on ne pouvait pas en si peu de temps avoir des certitudes sur le fait que ces enfants soient orphelins ou pas ».
Si la journaliste assure ne pas avoir anticipé les problèmes, il semble que le ministre français de la Justice ne puisse pas en dire autant. La Lettre du Continent a publié sur son site Internet l’extrait d’une note datée du 1er août que la directrice du cabinet de la secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme, Rama Yade, a envoyée à son homologue de la Justice, Rachida Dati : « Je souhaite vous alerter sur l’annonce du transfert vers le territoire français de 250 à 1 000 enfants de moins de cinq ans rapatriés de la zone du Darfour (Soudan) et proposés à l’adoption ou à l’accueil à des familles françaises par l’association loi de 1901 l’Arche de Zoé, qui présente l’opération comme imminente. Cette opération, si elle venait à être réalisée, se déroulerait en toute illégalité au regard des conventions internationales ». Voilà qui devrait apporter de l’eau au moulin aux défenseurs des six Français, qui arguent que les autorités françaises savaient. Les avocats français doivent quitter le Tchad ce jeudi mais prévoient d’y retourner dès que possible.