Entre souvenirs d’enfance marocains pour l’un et attachement culturel complexe pour l’autre, Jordan Bardella et Éric Zemmour dessinent une relation inattendue entre l’extrême droite française et le royaume chérifien. Dans son autobiographie « Ce que je cherche », le président du RN évoque avec nostalgie ses séjours au Maroc auprès de son grand-père Guerino, installé à Casablanca et qui serait marié à une marocaine et converti à l’Islam. Un récit qui fait écho au rapport ambivalent qu’entretient Éric Zemmour avec le pays, lui qui déclarait sur Twitter : « Vive le Maroc et les Marocains ! »
Cette double déclaration d’amour des deux leaders de l’Extrêmes droite française, aussi surprenante que paradoxale, révèle des positions de plus en plus complexes sur le Maghreb.
Bardella-Zemmour : deux héritages marocains, deux visions politiques
Le lien de Jordan Bardella avec le Maroc est avant tout familial et intime. Ses souvenirs d’enfance sont marqués par la figure de son grand-père Guerino, qui avait choisi Casablanca comme terre d’adoption. Pour le président du RN, ces séjours marocains incarnent un retour aux valeurs de respect et d’ordre qu’il juge en péril en France. Une nostalgie qui contraste avec le rapport plus complexe d’Éric Zemmour au royaume chérifien. Il faut rappeler aussi les origines algériennes de l’arrière-grand-père de Jordan Bardella, Mohand Séghir Mada, un immigré kabyle arrivé en France dans les années 1930. Un autre point commun avec Zemmour.
En effet, fils d’immigrés algériens de confession juive, Zemmour cultive avec le Maroc une relation paradoxale, renforcée par sa proximité avec Sarah Knafo, sa compagne d’origine marocaine. Son soutien récent à la loi imposant des prénoms à caractère marocain illustre cette ambivalence : alors même qu’il condamne l’immigration maghrébine en France et dénonce « l’islamisation » des quartiers populaires, il n’hésite pas à célébrer certaines initiatives culturelles marocaines.
Une étrange alliance : le RN et le Maroc, entre pragmatisme et géopolitique
Une convergence de vues inattendue se dessine entre le Rassemblement National (RN) et le Maroc. Bien que Jordan Bardella ait multiplié les attaques contre des personnalités franco-marocaines, telles que Najat Vallaud-Belkacem, le royaume de Mohammed VI s’est bien gardée de réagir. D’ailleurs, ce mutisme royal rappelle la posture adoptée face aux déclarations de Zemmour pendant la présidentielle de 2022. Ce silence suggère une entente stratégique en gestation.
En effet, alors que le RN se positionne comme un défenseur d’une politique ferme en matière d’immigration et de sécurité, il a récemment exprimé son soutien au Maroc sur la question du Sahara occidental. Le parti a critiqué une décision du Tribunal de l’Union européenne favorable au Front Polisario, qualifiant celle-ci de « regrettable ». Cette déclaration du RN insiste sur l’importance de relations étroites avec le Maroc, vu comme un allié stratégique dans la lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme, des enjeux cruciaux pour l’extrême droite française.
Mohammed VI et le RN : une stratégie pragmatique
La posture du roi Mohammed VI face au RN semble dictée par une priorité absolue : la reconnaissance du Sahara comme territoire marocain. Dans cette optique, le souverain marocain privilégie une approche pragmatique, reproduisant la stratégie déjà observée avec Zemmour : silence face aux critiques contre la diaspora en échange d’un soutien sur les dossiers stratégiques. Cette position pourrait générer des tensions au sein de la diaspora marocaine en France, prise entre les critiques du RN et le silence stratégique de Rabat.
L’alliance tacite entre le RN et le Maroc se combine d’ailleurs avec une stratégie d’attaque conjointe contre l’Algérie, rappelant aussi les tristes heures d’une l’Extrême droite qui rêve toujours d’une Algérie française. Mais pour Mohammed VI, le Sahara occidental passe avant tout, même si cela implique des compromis inhabituels avec l’extrême droite française.
Cette posture suscite cependant des critiques dans le monde arabe, où certains regrettent que le roi accorde plus d’attention au Sahara qu’à la cause palestinienne.