D’emblée, « la République Démocratique du Congo est en proie à des conflits armés violents depuis 1996. De nombreux observateurs estiment qu’ils trouvent leur origine dans la lutte pour le contrôle des ressources naturelles. Ce lien entre exploitation des ressources naturelles et conflits armés est plusieurs fois évoqué pour expliquer la prolifération des mouvements armés dans une vaste zone où l’Etat, en déliquescence, a cédé le terrain aux seigneurs de la guerre et aux milices armées dont le nombre et la dynamique opérationnelle sont devenus des sujets à controverse » (1) ; ainsi, « les armes qui affluent du monde entier dans la région sont fournies clandestinement, sous formes d’une assistance militaire, par des agents puissants, proches de gouvernements des trois pays, à divers groupes armés et milices qui se livrent à des actes de banditisme dans l’est de la RDC et ne respectent guère les droits fondamentaux »(2).
Pour l’Amérique, « les vies humaines sont moins importantes que les raisons d’Etat ; les massacres qu’ils avaient perpétrés dans les années 65-75 au Vietnam, au Laos, au Cambodge et sur d’autres terrains militaires, illustrent à suffisance leur barbarie et leur culture de violence »3. Le financement de leur mafia est issu « de l’argent de la drogue en provenance des cartels de Medelline et de Cali que la CIA a créé en vue de lui procurer de l’argent nécessaire pour des opérations clandestines dans le monde : Coup d’Etat, insurrection populaire, des opérations d’intoxication médiatique, corruption des bandes des rebelles, paiement des collaborateurs extérieures, financement de la presse locale, financement et corruption de leaders politiques et leurs patries etc. »4 ; et il sied de signaler que « l’Europe et les Etats-Unis sont totalement dépendants des réserves étrangères en coltan. Si aujourd’hui l’Australie et le Brésil en exportent en quantité, l’enjeu géostratégique des puissances qui raisonnent en termes de réserves, est en RDC. De fait, le coltan de la région du Kivu représente 60 à 80% des réserves mondiales de tantale (métal extrait du coltan). Pourtant historiquement influentes dans les Grands Lacs, les puissances européennes (Allemagne, Belgique et France) disputent la maitrise de cet or gris à des Etats-Unis qui ont depuis acquis une position stratégique ».5
Actuellement, le Covid-19 est une arme qui a pu entrainer la génuflexion de l’économie mondiale. Tous les pays infectés connaissent un déficit surtout ceux dont l’économie est extravertie car les frontières ont connu la fermeture. La comptabilité de plusieurs pays qui sèment la terreur à l’est de la République Démocratique du Congo enregistre plus de sorties que d’entrées ; les Etats-Unis par exemple, ont décidé d’allouer plus de 30 milliards de dollars américains en guise de financement du secteur privé, les mesures humanitaires accompagnatrices du confinement décidé par pas mal des chefs d’exécutif ont généré beaucoup de dépenses au détriment du trésor public. Alors, une fois que le Covid-19 disparaissait, les prédateurs des ressources naturelles du Congo tenteront d’imposer une loi, une loi des plus forts par le biais de leurs organes et institutions officielles y compris leurs services d’intelligence afin de s’approvisionner en ressources naturelles le plus tôt possible pour pallier à leur déficit budgétaire. Cette guerre de la partie Est du Congo a déjà donné naissance à plusieurs parcelles d’autorités où chacun essaie de mettre en place un système de jeu qui ne plait pas forcement aux autres. La République Démocratique du Congo conscient de cela, devra se préparé au pire car le malheur ne tardera pas à frapper à sa porte au cas où les négociations bilatérales ou multilatérales pacifiques tourneront mal.
A qui profitera cette guerre ?
Pour mieux répondre à cette question, les analyses de Charlotte Cosset rendues publiques dans son article publié sur « www.nouvelobs.com »6 avec comme titre : « RDC : dix points clés pour comprendre la guerre au Nord-Kivu » nous servent de lumière.
– L’armée régulière : les FARDC
L’est de la RDC est un territoire où les accès sont difficiles. Les routes sont quasi inexistantes, coupées par des zones de forêts denses. Des groupes de l’armée régulière sont fixés dans les villes, villages et les zones rurales. Celles-ci étant peu accessibles, ils deviennent maîtres sur leur territoire.
Les officiers de l’armée profitent alors des richesses agricoles et minières, instaurant des taxes, des droits de passage. La justification de la présence des soldats dans les différentes contrées : protéger les populations des rébellions. Sauf qu’ils s’enrichissent sur le dos des habitants et n’ont pas intérêt à ce que la guerre s’arrête.
Certains observateurs avancent même qu’une partie de l’armée serait aux mains des Tutsis. Chiffre avancés : neuf généraux sur une trentaine seraient des Congolais tutsis.
– Les hommes politiques
Les politiques aussi trouvent leur intérêt. Détachés du pouvoir central, ces chefs de région s’accordent avec l’armée, posent eux aussi leurs taxes, touchent des pourcentages sur les ressources de leur territoire. En cas d’arrêt de la guerre, ce genre de comportement ne serait plus possible.
– Les ONG
Les ONG sont implantées, depuis de très nombreuses années, à Goma et plus largement à l’est du pays. Leur présence est parfois remise en question par les populations locales. Selon elles, il n’est pas d’intérêt de la MONUSCO et des autres organisations que la guerre cesse. Un retour au calme signifierait la fin des missions.
– Les multinationales
Les plus concernés économiquement dans cette guerre internationale sont sans doute les multinationales.
Le documentaire « Blood in the Mobile », dénonce le cercle vicieux dans lequel sont impliquées les grosses firmes. Le réalisateur Frank Piasecki Poulsen s’est intéressé au cas de Nokia qui a de gros intérêts dans les mines de cassitérite à Walikale. Il n’a pu trouver de preuves concrètes de l’implication de la firme internationale. Cependant, de lourds soupçons pèsent sur elle.
Les entreprises profitent en général de l’instabilité pour acheter les minerais à bas prix. Minerais qu’ils utilisent dans la fabrication de leurs téléphones par exemple. Des bénéfices tirés, les observateurs supposent qu’une partie est réinvestie dans l’armement pour soutenir l’instabilité dans la région.
Outre les profiteurs précités par Charlotte Cosset, nous pouvons aussi ajouter les pays frontaliers à l’instar du Rwanda et de l’Ouganda qui « occupent une partie du territoire. On se souvient qu’en 1996, ces deux pays s’étaient coalisés avec l’Angola et le Zimbabwe pour renverser Mobutu et installer Kabila à sa place. Ce dernier, pour contrer le mécontentement grandissant des Congolais vis-à-vis des étrangers qui, en réalité, détenaient le pouvoir, leur avait demandé, en juillet 1998, de quitter le pays. La réponse fut immédiate : sous le couvert d’une soi-disant rébellion nationale, le Rwanda et l’Ouganda envahirent les provinces frontalières et, par une opération audacieuse, attaquèrent Kinshasa à plus de 2000 km de leurs frontières ».7
Que doit-elle faire ?
La République Démocratique du Congo ne doit pas faire appel au secours de la communauté internationale car, depuis toujours, elle a donné sa langue au chat en violation de la charte des Nations Unies en ce qui concerne son chapitre premier portant sur ses buts et principes. Face à cette bombe prévisible, l’Etat congolais doit réfléchir en amont tout comme en aval avant que le pire n’arrive, comme le souligne Henri Fayol : « gérer c’est prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler ». Elle doit aussi penser à la reforme quant aux acteurs de sa politique internationale, elle doit redynamiser son armée qui devra assurer sa souveraineté internationale nonobstant les problèmes liés à la solde qui entrainent parfois la démotivation au-delà de l’amour de la patrie. « Une reforme dans le secteur de la sécurité est nécessaire pour répondre à quatre problèmes fondamentaux : 1) la faiblesse structurelle des forces armées et de la police, 2) les conséquences des exactions perpétrées par les militaires et la police sur les populations civiles, 3) la faiblesse du système judiciaire, qui a perpétué la culture de l’impunité, et 4) une représentation régionale et ethnique inéquitable dans le système de sécurité »8. Le Congo doit penser aussi à accélérer, dans la mesure du possible, les formations adéquates pour les forces de l’ordre sinon, comme le disait Thomas Sankara : « Un militaire sans formation politique, idéologique est un criminel en puissance ». La République Démocratique du Congo doit sécuriser les périmètres de sa partie Est qui contient les ressources au cœur du progrès mondial, sans oublier quelques coins stratégiques tels que la province de l’équateur où se trouve le deuxième poumon mondial.
En bref
Le Covid-19 laisse croire à un bon nombre de personnes que c’est juste une pandémie. Mais au-delà de cette hypothèse, la confrontation entre grandes puissances se dessine ; alors, les pays comme la République Démocratique du Congo représentent la proie à dévorer pour la résurrection des conditions socio-économiques des multinationales et autres Etats. Comme le dit un adage : « qui veut la paix, prépare la guerre », le Congo démocratique ne doit plus fermer son œil visionnaire, plutôt, il doit devenir plus lucide que jamais, car le nouvel ordre mondial ne lui échappera pas.
En outre, « les conflits en RDC et leurs conséquences restent une source de préoccupation majeure, dans la mesure où ils constituent un défi multidimensionnel au développement économique et humain dans le pays et la région. Il est nécessaire de se pencher au plus haut niveau, tant au plan régional que mondial, et d’appuyer le Gouvernement de la RDC dans sa recherche d’une solution aux conflits et dans ses efforts pour remettre le pays sur la voie du développement durable ».9
Par Glodie Zanga Chercheur et politologue en formation à l’université catholique du Congo (UCC). Kinshasa, le 16 avril 2020
(1) Félicien Kabamba Mbambu, Conflits armés et exploitation forestière en République Démocratique du Congo (RDC) : Pour une action environnementale régionalement intégrée, 2017
(2) Amnesty international, République Démocratique du Congo (RDC) : Le flux d’armes à destination de l’est. 2005
(3)3 Robert Mbelo, Causes et conséquences de la guerre en République Démocratique du Congo, 2003.
(4) idem
(5) Ecole de guerre, La guerre du coltan en RDC. Repositionner le jeu des acteurs dans le paradigme des stratégies de puissances, 2008
(6) https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-afrique/20120822.RUE1989/rdc-dix-points-cles-pour-comprendre-la-guerre-au-nord-kivu.html
(7) https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/qui-profite-la-guerre-en-rdc/
(8) Commission économique pour l’Afrique (Nations Unies), Conflits en République Démocratique du Congo. Causes, impact et implications pour la région des Grands Lacs, 2015.
(9) Idem