Comme en Tunisie, les cas de suicides et de tentatives de suicide par le feu se multiplient en Afrique du Nord, notamment en Algérie, en Egypte et en Mauritanie. Ils portent en germe le même type d’exaspération sociale qui a emporté le régime tunisien du président déchu Ben Ali. Les spécialistes n’excluent pas le risque de contagion de ces pays, qui pour la plupart sont régis par des systèmes politiques aussi fermés qu’en Tunisie.
La crise tunisienne va-t-elle s’étendre aux autres pays arabes du Maghreb? Chez ses voisins, la révolution « du jasmin » qui en quelque jours a emporté la dictature du président déchu Ben Ali aussi facilement qu’un vent violent détruit un château de cartes inquiète en tout cas leurs dirigeants. D’autant que l’acte déclencheur de cette révolution, le geste d’exaspération de Mohamed Bouaziz, un jeune au chômage qui s’était immolé par le feu pour protester contre la police, après que celle-ci eût saisi son chargement de fruits et légumes, provoque des émules. Lundi après-midi en Egypte et en Mauritanie, des hommes ont tenté de s’immoler par le feu, en guise de protestation contre le régime de leur pays. Ce mardi, un avocat a tenté de se tuer par le feu devant le cabinet du Premier ministre égyptien au Caire, pour protester contre l’échec de la police à retrouver sa fille depuis longtemps disparue. Pareil incident avait déjà été signalé en Algérie, où trois jeunes ont mis le feu à leur propre corps ces derniers jours près de Tébessa, de Bordj Menaïel et de Jijel. L’un d’eux en est mort. Si au Maroc ce type de tentative de suicide n’a pas encore été enregistré, de nombreuses associations ont en revanche appelé à manifester la semaine dernière en soutien aux émeutiers tunisiens. Craignant visiblement que le rassemblement dégénère comme chez son voisin maghrébin, le pouvoir marocain l’a interdit.
Situation sociale similaire
Même si la situation sociale diffère d’un pays à l’autre, les populations d’Afrique du Nord rassemblent la quasi-totalité des ingrédients de la crise tunisienne : chômage, vie chère et verrouillage de l’opinion. Au début du mois en Algérie, les émeutes provoquées par l’inflation ont fait cinq morts, plus de 800 blessés et un millier d’arrestations la semaine dernière. Au Maroc la situation sociale semble moins explosive qu’en Tunisie eu égard aux mesures et économiques mises en place par le gouvernement du roi Mohamed VI. Le pays semble aussi plus ouvert et la répression de la liberté de la presse a quelque baissé. Cependant, le chômage des jeunes y serait encore plus important qu’en Tunisie. La situation de l’Egypte rapproche davantage le pays arabe le plus peuplé de la Tunisie. Une grande partie de la population y vit sous le seuil de pauvreté et le pouvoir est gangrené par la corruption. Le président Hosni Moubarak est également rejeté par sa population et ne remporte les élections qu’à coup de fraudes et en l’absence d’observateurs internationaux dont il s’est opposé à la présence dans son pays. La Libye fait figure de pays le plus fermé du Maghreb, avec une opposition et une société civile quasi inexistantes. Le pays du Guide Mouammar Kadhafi n’est cependant pas à l’abri de la crise du pouvoir. Une guéguerre interne au clan dirigeant, opposant Seif al-Islam, un des fils Kadhafi et chef de file du courant des réformateurs du régime aux conservateurs, a, en novembre 2010 débouché sur l’arrestation d’une vingtaine de journalistes travaillant pour son groupe de presse.
Risque de contagion
« La contagion est inévitable, mais elle peut prendre des années. Il y a une exaspération commune qui va du Maghreb au golfe persique, et des tendances lourdes économiques et démographiques, comme l’émergence d’une classe moyenne qui aspire à la démocratie », a expliqué au quotidien français gratuit Direct Matin, Pascal Boniface, directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) de Paris. Face à cette situation, les dirigeants d’Afrique du Nord réagissent différemment. En Algérie, le pouvoir a décidé de baisser les prix de certaines denrées de premières nécessité et à annoncé des mesures en faveur de l’emploi. Le président Abdelaziz Bouteflika pourrait même quitter le pouvoir au terme de son actuel mandat, entamé il y a deux ans. En Egypte, Hosni Moubarak observe le silence face aux troubles qui secouent ses voisins. Âgé de 83 ans et au pouvoir depuis plus de 30 ans, il devrait briquer un troisième mandat en septembre. Dans le même temps, il préparerait la succession pour son fils Gamal. De son côté, Mouammar Kadhafi a apporté ce week-end un soutien appuyé au président tunisien déchu, indiquant qu’il était « toujours le président légal de la Tunisie. » « Ben Ali a été pris par surprise, les autres doivent réagir en prenant des mesures sociales s’ils veulent éviter la contagion », pense Pascal Boniface.