Le Saint Père Benoît XVI vient de terminer en Turquie sa première visite pastorale dans un pays musulman. Un voyage dont les résultats étaient attendus par le monde entier. Il a réaffirmé avec force et clarté les principes de fraternité du Concile Vatican II. C’est ce que j’espérais, depuis ma rencontre exceptionnelle du 11 novembre avec le souverain pontife. Il vient de tourner nettement la triste page de Rastibonne…
Par Mustapha Cherif*
Le Saint Père Benoît XVI vient de terminer en Turquie sa première visite pastorale dans un pays musulman. Un voyage dont les résultats étaient attendus par le monde entier. Il a réaffirmé avec force et clarté les principes de fraternité du Concile Vatican II. C’est ce que j’espérais, depuis ma rencontre exceptionnelle du 11 novembre avec le souverain pontife. Il vient de tourner nettement la triste page de Rastibonne. Il a ouvert ses discours en rappelant qu’il respecte grandement les musulmans, reste attaché, comme il me l’avait souligné, au dialogue des religions et des cultures et inscrit son action dans la continuité de ses prédécesseurs.
Autre geste politique et diplomatique significatif, le Pape soutient l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne. Compte tenu du contexte chaotique du monde, ce sont des acquis importants et des signes irréversibles d’espérance. Sa visite historique, symboliquement unique à la Mosquée d’ Istanbul, sous le sceau de la prière et de la fraternité abrahamique, tournée vers la Mecque, est un signe de la grâce de Dieu. Le dialogue et la sagesse sont des chemins salutaires.
La référence au concile Vatican II, à l’occasion de ses interventions, référence doctrinale qui instaure la politique de l’estime, de la fraternité et du dialogue, notamment avec l’Islam, porte la marque d’une clarification. Plus encore, l’essentiel de ses discours a trait à la question de la justice, point au centre de nos revendications. Il a précisé que « la véritable paix a besoin de justice. ». Cela est fondamental.
Le Saint Père a exprimé son estime pour les musulmans
Il a dénoncé, comme nous le souhaitions, le désordre politique et les déséquilibres économiques. Il a souligné la nécessité de faire respecter les décisions internationales et d’instaurer un vrai dialogue, sur tous les plans, en particulier au Moyen Orient. Cette approche et cette vision traduisent le besoin de vérité des êtres soucieux de vérité, qui discernent les causes profondes de la violence injustifiable, et refusent la propagande du choc, les amalgames et la stigmatisation. Le Saint Père a exprimé son estime pour les musulmans et marqué son attachement au dialogue, en soulignant que nous devons travailler ensemble. Ce sont les paroles que tout le monde attendaient et en particulier les des musulmans.
Sur la question de la violence, il y a totale convergence de vue pour condamner les usages aveugles et l’instrumentalisation de la religion, comme l’a souligné dans sa en réponse le premier responsable religieux turc. Au sujet du rapport entre la religion et le politique, des nuances, et non point des oppositions, sont perceptibles. Ne pas confondre ces deux dimensions fondamentales de la vie est vital et logique. C’est la sécularité ouverte et paisible. L’Islam c’est la cohérence, le rapport équilibré, le lien entre le temporel et le spirituel.
La vision de l’Islam au sujet du monde est totale. L’Islam est religion et monde, excluant toute forme de confusion et de totalitarisme. Le Pape a toujours critiqué les dérives déshumanisantes du laïcisme, produits de la séparation outrancière et de la marginalisation des valeurs spirituelles. l’Islam, n’ayant pas d’Eglise, soucieux de liberté responsable de chacun, et tenant à préserver la religion de toutes les formes exploitations, confie à l’Etat le soin de gérer les espaces et les questions communes, comme secteur public. Ce thème, comme d’autres liés à nos différences, est une richesse et mérite de poursuivre le passionnant dialogue.
Une nouvelle page des relations islamo-chrétienne
Nous vivons une nouvelle page des relations islamo-chrétienne, en fidélité au dialogue séculaire et à notre socle commun. L’espoir est permis, notamment pour faire face aux immenses défis communs, comme la marchandisation du monde, le retour de la haine religieuse et la loi du plus fort. Acteur majeur des relations internationales, autorité morale mondiale, le Saint Père nous a objectivement écoutés, a tiré les leçons avec une grandeur de vue exemplaire et permet au monde entier d’espérer de nouveau que la coexistence, le droit et la justice l’emportent sur l’arrogance, l’exclusion et la confrontation.
La ligne du Saint Père conforte la majorité silencieuse opposée à l’extrémisme. Nous avions raison d’avoir confiance, à la fois, en notre juste cause et au sens élevé de la responsabilité du Souverain Pontife. Reste à chaque société de faire son autocritique, D’assumer ses responsabilités, en préférant toujours le vivre ensemble paisible et l’ouvert. Rien n’est donné d’avance. Éduquer, former et responsabiliser les générations futures au sens de l’ouvert, à l’antipode des obscurantismes, reste des tâches de toujours, pour réinventer une civilisation universelle qui fait défaut à l’humanité aujourd’hui. Aucun monde, d’Orient ou d’Occident, ne peut y faire face seul, d’où le caractère incontournable du dialogue et du règlement juste des questions politiques et des inégalités économiques. L’interconnaissance est le chemin privilégié de cet horizon d’avenir. Ce voyage marque une nouvelle page des relations entre les peuples. Ceux qui cherchaient à nous diviser et à nourrir la méfiance ou la haine ont perdu une bataille. Que les êtres de bonne volonté se réjouissent et continuent à travailler pour l’avenir. Après l’orage, l’éclaircie.
*Mustapha Cherif est philosophe et islamologue algérien, professeur à l’université d’Alger.
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