Suite au décès du Président du Gabon, Omar Bongo, et contrairement à certains pays comme le Togo et la Guinée, le Gabon, par l’intermédiaire de la Cour constitutionnelle, vient de donner un bel exemple de respect de la Constitution en confiant les fonctions de chef de l’Etat par intérim à la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé. Toutefois, devant la tentation du pouvoir ne faudrait-il pas s’inquiéter que le Gabon rentre dans une zone de turbulence surtout que la bataille pour la succession fait rage, aussi bien dans la majorité sortante que dans l’opposition. Noël Kodia, essayiste et critique littéraire, nous livre ici une analyse de la question à la lumière des enjeux politiques et économiques suscités par cette élection.
Par Noël Kodia
Le président Bongo n’est plus après 41 ans de pouvoir. Contrairement à certains pays comme le Togo et la Guinée, le Gabon, par l’intermédiaire de la Cour constitutionnelle, vient de donner un bel exemple de respect de la Constitution en confiant les fonctions de chef de l’Etat par intérim à la présidente du Sénat, Rose Francine Rogombé. Elle doit diriger le pays jusqu’à la prochaine présidentielle qui devrait ouvrir une nouvelle page en Afrique centrale, nouvelle si on se réfère aux conflits qu’ont connus les autres pays de la sous-région comme le Congo, le Tchad et la Centrafrique. Mais devant l’appétit du pouvoir, tant de la majorité présidentielle que de l’Opposition, ne faudrait-il pas craindre que le Gabon traverse une zone de turbulence au vu des enjeux politiques et économiques que suscite le pouvoir sur le continent ?
Enjeux politiques
Après Houphouët-Boigny, l’un des précurseurs de la Françafrique, Bongo est l’autre grand pilier de ce système, nouant des relations intimes avec la majorité des présidents français, de Charles De Gaulle à Jacques Chirac. Maintenant que ce pilier vient de s’écrouler, les relations politiques franco-africaines vont-elles subir une grande secousse ? Surtout avec la dénonciation des présidents qui n’arrivent pas à faire décoller économiquement leur pays, malgré les richesses que leur procure l’exploitation des ressources naturelles comme le pétrole, l’uranium…? Jusqu’à quand la « diplomatie françafricaine » protègerait-elle les biens mal acquis dont le président Bongo a été l’un des possesseurs interpellés ? Un problème qui risque d’être une bombe à retardement pour certains présidents longtemps inamovibles au pouvoir.
Un long règne à la direction d’un pays est en effet souvent synonyme de tensions sociopolitiques en Afrique. Et comme d’ordinaire la pérennité au pouvoir en Afrique fait penser au détournement des richesses de l’Etat (car comment comprendre que des pays riches comme le Gabon, le Congo, l’Angola présentent des populations vivant paradoxalement au seuil de la pauvreté avec moins d’un dollar par jour ?), les Gabonais devraient se rappeler les guerres civiles de la sous-région pour ne pas tomber dans la confrontation interethnique. Celle-ci débouche souvent sur des conflits armés comme l’ont démontré malheureusement leurs voisins Congolais, Centrafricains et Tchadiens à cause des enjeux politiques et surtout économiques (leur sous-sol regorgeant de matières premières).
Ce rappel est nécessaire pour que le parti au pouvoir et l’Opposition posent les véritables bases objectives pour une alternance crédible. Déjà se remarque un signe positif et encourageant avec l’acceptation de la présidente du Sénat au poste de président par intérim comme le stipule leur Constitution. Pour garantir la paix dans son pays, Bongo a pratiqué le népotisme (pouvoir financier confié à sa fille Pascaline et pouvoir militaire à son fils Ali) et la corruption de l’Opposition pour éviter d’hypothétiques mécontentements populaires que l’on avait constatés à l’orée de la démocratie multipartiste. Bongo n’étant plus là, la corruption de l’Opposition n’aurait plus lieu et peut-être allons-nous assister à son véritable réveil pour demander à la majorité présidentielle des élections libres et transparentes pour une véritable alternance. Une alternance qui semble se fonder sur les tractations entre plusieurs acteurs politiques : d’un côté les enfants qui voudraient continuer l’œuvre de « papa », et de l’autre, les militants qui veulent enfin réaliser leur souhait de diriger « réellement » le pays.
Enjeux économiques
Malgré l’arrivée des Chinois dans les structures commerciales et économiques du Gabon, les multinationales occidentales y occupent une place prépondérante dans l’exploitation du pétrole, de l’uranium, du manganèse du bois… Parce qu’ils convoitent les richesses du continent, les Occidentaux, pour leur économie, ont souvent été prêts à y mettre le feu pour ensuite jouer aux sapeurs pompiers, en négociant alors des contrats d’exploitation de certaines richesses en position de force. La Chine s’intéresse aussi aux richesses du continent même quand les droits de l’Homme sont bafoués dans certains pays comme le Soudan où elle vend des armes à cause de son pétrole (et cela, malgré la tragédie du Darfour condamnée par l’opinion internationale). Mais les Occidentaux sont encore bien là et peuvent peser de tout leur poids.
L’économie gabonaise est essentiellement fondée sur l’exploitation de son sous-sol. Aussi, pour éviter la frustration populaire que pourrait provoquer une alternance mal négociée après la mort de Bongo, l’Union européenne et l’Union africaine doivent imposer aux politiques gabonais une bonne gouvernance économique, facteur de paix sociale permettant aux partis politiques de jouer leur véritable rôle, celui de conscientiser la société dans la paix que Bongo a su imposer à coups de corruption. Avec leurs richesses, des pays comme le Gabon, le Congo… dont la population n’est pas assez importante, seraient des Etats qui ne vivraient pas de troubles sociopolitiques si les royalties engendrés par la vente des matières premières étaient bien gérés, loin du népotisme et du gangstérisme financier qui les caractérisent. Malheureusement Bongo n’a pas pu échapper à la règle en « travaillant » avec ses enfants.
Les Africains sont imprévisibles dans la gestion du pouvoir politique car souvent rattrapés par le subconscient ancestral. Et comme le Gabon appartient à une zone où les conflits interethniques sont monnaie courante, l’UA et la Communauté internationale devraient aider les Gabonais dans la réalisation de la prochaine présidentielle pour qu’elles ne soient plus surprises comme dans d’autres pays.
Noël KODIA est essayiste et critique littéraire congolais.
Cet article est publié en collaboration avec le projet UnMondeLibre.org