Le projet d’appui aux petites entreprises africaines « Apprentis sans frontières » a déjà envoyé, depuis 2000, plus de 40 jeunes au Mali pour un échange et un transfert de compétences dans le domaine de la mécanique et de la pâtisserie. A l’origine de l’initiative Bernard Piot, un professeur de pâtisserie au centre de formation d’apprentis interprofessionnel de l’Aube (France) animé par des valeurs de partage et de solidarité.
Envoyer 6 à 8 jeunes apprentis dans la ville de Mopti au Mali pour qu’ils transmettent leurs connaissances et leurs compétences : « Apprentis sans frontières » fait de la solidarité son cheval de bataille. Ecole du donner mais aussi du recevoir, les échanges, toujours très riches, ont déjà marqué plus de 40 apprentis depuis 2000. A la base du concept, Bernard Piot, un professeur de pâtisserie au Centre de Formation d’Apprentis interprofessionnel de l’Aube (à Sainte Marie, France). Une initiative militante, et au départ personnelle, qui s’inscrit aujourd’hui comme une action pédagogique reconnue au niveau de la profession et de l’Etat.
C’est à l’issue d’un congé solidaire en 2000, qu’il finance tout seul, que Bernard Piot part pour la première fois en mission. Direction le Mali, et plus précisément Mopti, pour une action en faveur des enfants des rues. « J’avais envie d’aller à l’étranger pour voir comment je pouvais apporter mon aide directement sur place », explique-t-il. Il y restera 15 jours. L’occasion pour lui de rencontrer des artisans et de préparer cette idée qui lui trottait déjà en tête : emmener des jeunes apprentis de son établissement en Afrique pour deux semaines de découvertes et de partage à la fois professionnels et humains.
Pour un transfert de compétences techniques et professionnelles
« Ce premier séjour m’a ouvert les yeux en me montrant une réalité de terrain et ce dont les gens avaient vraiment besoin. Pour moi l’Afrique c’était Bernard Kouchner avec un sac de riz sur l’épaule. Je me suis aperçu qu’il y avait une approche peut-être un peu plus constructive en essayant de favoriser un transfert de compétences techniques et professionnelles », confit-il, tout en tenant à souligner que son voyage a également été « une source d’enrichissement personnel au contact d’une autre culture ». Une conviction certaine : « Tout le monde peut agir, quel que soit son niveau social ». Il propose alors son projet d’amener une équipe d’apprentis sur place à son chef d’établissement, qui l’accueille avec circonspection. Qu’à cela ne tienne, il va frapper plus haut : au Conseil régional. Et là : « Ils ont totalement adhéré ». Tout comme à l’assemblée permanente des chambres de métiers où il existe d’ailleurs un secteur Artisans sans frontière.
Quel est exactement le concept ? « Il s’agit de partir avec des apprentis[[<*>Les apprentis ont déjà 3 ans d’expérience derrière eux et un Certificat d’Aptitude Professionnel ou un Brevet d’Etude Professionnel. Ils travaillent 3 semaines en alternance chez un patron et 1 semaine en centre de formation]] en Afrique. Ils partent sur leurs propres congés et avec leurs propres fonds. Il n’y a pas forcément de sélection, c’est surtout l’état d’esprit qui est important, explique Monsieur Piot. Ce n’est pas un ‘esprit vacances’. Nous allons là-bas avant tout pour travailler et pour faire des échanges professionnels. Mais en général, cela créé des liens très forts, à tel point que ceux qui y sont allés nous demandent souvent de revenir. »
L’Afrique royaume du système D
Transmettre, partager, apprendre. Il ne s’agit pas de « faire le travail à la place de ». Si les apprentis apportent des méthodes, des normes (notamment en matière sanitaire) et un certain savoir-faire, ils ont beaucoup à apprendre des pratiques locales en Afrique. « Ce qui m’impressionne, et impressionne toujours beaucoup les apprentis, c’est le système D africain. Les personnes, notamment en mécanique, ont un profond sens de l’adaptation et une grande débrouillardise. Ils arrivent à tout faire avec des moyens rudimentaires. Même quand ils n’ont pas les pièces nécessaires, ils réparent… et ça tourne ! Ils sont très forts en mécanique pure. »
Nécessité d’adaptation, mais cette fois-ci de la part de l’équipe de Monsieur Piot, c’est en pâtisserie qu’il faut faire preuve de pragmatisme pour africaniser des recettes occidentales. Comment, par exemple, faire une tuile aux amendes quand on n’a pas d’amendes ? Rien de plus simple, on les remplace par de l’arachide. « Nous devons composer avec les produits locaux par qu’il y a des ingrédients dans les recettes de base qu’on ne trouve pas sur place, explique Monsieur Piot. C’est d’ailleurs un travail très intéressant à faire. » Pas les mêmes ingrédients et pas non plus les mêmes outils : « En cuisine, ils n’ont pas le matériel moderne que nous pouvons avoir chez nous. Ils travaillent à l’ancienne, ça c’est aussi une réalité de terrain. Nous aimerions apporter avec nous des ustensiles mais nous sommes limités en poids quand nous voyageons. »
Une aventure humaine unique pour les Apprentis
L’ambiance est toujours très conviviale. Les chefs d’entreprise locaux reviennent même le soir pour discuter avec les jeunes. Finalement tout le monde y gagne. Les uns, une main d’œuvre qualifiée et un transfert de compétences, les autres, une vision d’une autre réalité professionnelle et une expérience unique. A côté de l’aspect professionnel, « Apprentis sans frontières » a une dimension foncièrement humaine. Dans l’échange interculturel et dans la logistique même du projet où tout le monde vit en communauté. « Les apprentis retournent très marqués par leur séjour. Ça change leur regard sur la vie. Parce qu’ils sont dans un tout autre pays avec une culture complètement différente de la leur. Il faut rappeler que ce sont souvent des jeunes qui n’ont jamais pris l’avion et qui ne sont jamais partis à l’étranger », analyse Bernard Piot. Côté logistique, ce sont deux encadrants qui accompagnent les 6 ou 8 jeunes à chaque session. « Nous louons une maison, avec du personnel malien, où nous vivons tous ensemble. Nous sommes en totale immersion. » Les jeunes fonctionnent généralement en binôme chez tel ou tel patron. Et à Monsieur Piot de veiller à ce qu’il n’y ait pas de fausses notes. Une gestion du groupe qui n’est parfois pas de tout repos tant il faut être au four et au moulin.
Même si Bernard Piot reste le seul poumon de l’initiative, le projet a su gagner de belles lettres de noblesse. A tel point qu’il est désormais inscrit dans le projet qualité de l’établissement. Mieux : il a obtenu le soutien concret du ministère des Affaires Etrangères, de l’assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat et de son service de coopération et soutien aux artisans et aux micro-entreprises (les 15 jours de voyage reviennent tout compris à plus de 10 500 euros). Une reconnaissance pour son initiateur qui aimerait renouveler plus souvent l’expérience, « tous les 6 mois, estime-t-il. Ceci pour assurer un meilleur suivi des apports techniques et méthodologiques. Par ailleurs, ce sont toujours les mêmes chefs d’entreprise qui nous accueillent. Or il existe d’autres sollicitations auxquelles nous ne pouvons pas répondre. » Aujourd’hui Mopti, et pourquoi pas d’autres villes du Mali et même d’autres pays africains. C’est tout le mal que l’on souhaite à cette initiative utile, solidaire et humaine.
Pour joindre Bernard Piot : piot.b@voila.fr