Le Tunisien Anouar Brahem est sans doute l’un des musiciens les plus doués que le Maghreb et le Moyen-Orient réunis aient produit depuis 20 ans. L’artiste s’est produit pour un concert exceptionnel, le 10 octobre, à l’Opéra de Montpellier. Il a accordé à Afrik un long entretien, en homme qui se donne tout son temps, et qui aime approfondir sa pensée pour parler de sa passion: la musique.
Si vous écoutez l’un de ses disques, vous courrez acheter tous les autres… et vous aurez raison! Le Tunisien Anouar Brahem, sans doute le musicien le plus doué que la région située entre le Maroc et le Yémen ait produit ces 20 dernières années, compose une musique qui ne ressemble qu’à lui, de la « musique arabe contemporaine » comme il la définit, c’est-à-dire ni la musique arabe ou maghrébine de vos grands parents avec ses codes bien établis, ni de la musique contemporaine au sens de « occidentale ». S’inscrivant dans la démarche de tous les musiciens authentiques depuis la nuit des temps, de Brahms avec ses Danses hongroises aux Noirs américains fondateurs du blues, le talentueux ‘oudiste s’inspire à la fois de la tradition dans laquelle il est enraciné, et de l’univers musical dans lequel il est immergé.
Catalogué dans la catégorie « Jazz » – par exemple chez les disquaires – parce que ses disques paraissent sous le label ECM, l’un des labels mondiaux les plus sélectifs en jazz, il refuse vigoureusement les étiquettes. « Je ne suis pas du tout un musicien de jazz! Je joue d’un instrument qui n’est pas un instrument de jazz, et je fais de la musique qui n’est pas du jazz! Mais comme les musiciens avec lesquels je joue sont des musiciens de jazz, je suis labellisé « jazz ». C’est vrai que je préfère être avec des musiciens qui font des musiques actuelles, et le jazz en fait partie ».
Pour autant, Anouar Brahem, qui joue du ‘oud depuis l’âge de 7 ans, et a suivi les cours du Conservatoire de Tunis depuis l’âge de 10 ans, notamment sous la férule du maître Ali Sriti, se considère-t-il comme un musicien « arabe », autre étiquette que les critiques musicaux – et notamment occidentaux – lui collent volontiers? L’artiste s’explique: « Je fais de la musique contemporaine arabe. Au début, ce qui m’a poussé à composer, c’était l’envie de participer à une musique contemporaine arabe. Je fais la musique que j’ai envie de faire. Je travaille dans un esprit de liberté totale. Mais comme je suis Tunisien, et arabe, on me colle l’étiquette de « musicien arabe… ».
Sa musique qui ne se définit pas, elle s’écoute
Mais la meilleure définition de la musique que compose Anouar Brahem ne s’explique pas en mots: elle s’écoute. L’artiste se produit sur scène – il n’aime guère les concerts en plein air, où le vent disperse les notes (« voilà pourquoi je joue plus en hiver qu’en été », explique-t-il) – le plus souvent en trio (ces dernières années, avec François Couturier au piano et Jean-Louis Matinier à l’accordéon), dans des concerts intimistes, où, captivé, le public retient son souffle: la concentration dans l’écoute est presque palpable! La musique arabe partageant avec le jazz le fait de faire une large part à l’improvisation autour de thèmes musicaux définis, les 3 musiciens jouent, tantôt en solo, tantôt ensemble, dans un climat de douceur, de rêverie, et de magie, qui vous emmène loin, comme un long voyage…
Voyage : avec la musique, une autre passion de l’artiste, qui se définit comme « artiste voyageur ». Car le voyage permet d' »entendre d’autres sons, de rencontrer d’autres musiciens ». Anouar Brahem a donné des concerts en Angleterre, Allemagne, Japon, Norvège, Italie, Liban, Suisse, Suède, Portugal, Algérie, Espagne, Grèce… Et il a joué, entre des dizaines d’autres, avec le saxophoniste norvégien Yan Garbarek, le tabliste pakistanais Shaukat Hussein, l’accordéoniste français Richard Galliano, le clarinettiste anglais John Surman…
Devenu ces dernières années sans doute l’artiste issu de la région arabe qui est le plus encensé par les médias internationaux – de France Musique au quotidien britannique The Guardian (qui avait élu son album « Khomsa », paru en 1995, « l’un des meilleurs disques de l’année ») c’est sans doute le quotidien allemand Frankfürter Allgemeine Zeitung qui lui a rendu le plus bel hommage: « Il est si calme et souverain qu’il semble que l’homme de Tunisie est allé beaucoup plus loin que bien des musiciens de jazz affairés dans la quête de musiques nouvelles », écrivait le critique musical Wolfgang Sandner…
Le succès tourne-t-il à la tête de l’artiste dont les concerts se jouent à guichet fermé? « Ce qui permet à un artiste d’avancer, c’est une part de grande insatisfaction. On a toujours envie d’aller plus loin. Quand on est satisfait on ne fait plus rien », répond-il…. Poursuivre le voyage, donc, l’exploration de nouveaux horizons musicaux, de nouvelles rencontres… Pour notre plus grand bonheur!
Quelques dates
• 1957 : naissance à Tunis
• 1967 : entre au Conservatoire de Tunis
• 1981-1985 : vit à Paris
• 1987-1990 : dirige l’Ensemble Musical de la Ville de Tunis
• 1990 : 1er CD : Barzakh (ECM)
• 1992 : nommé Conseiller à la culture en Tunisie
Discographie
• Barzakh (1990)
• Conte de l’incroyable amour (1991)
• Madar (1994)
• Khomsa (1995)
• Thimar (1998)
• Le pas du chat noir (2002)
• Vague (2003)
• Le voyage de Thimar (2006)