Vivre son homosexualité reste périlleux en Angola, comme dans la plupart des pays africains. Parce que la société les rejette, des homosexuels choisissent le mariage comme couverture mais continuent à avoir des relations avec d’autres hommes. Parfois sans protection…
C’est l’histoire d’un mariage sans limites, avec entre autres une fête au club nautique de l’île de Luanda, la capitale angolaise, et une nuit dans la suite nuptiale d’un hôtel cinq étoiles. La cérémonie a fait les gros titres de tous les journaux angolais. « Honteux ! » pouvait-on lire à la une d’un des magazines hebdomadaires du pays. « Abominable ! » dénonçait un autre journal.
Bruna and Chano, un jeune couple angolais, ont payé le prix lourd en affichant publiquement leur relation homosexuelle. Les deux jeunes hommes se sont rencontrés alors qu’ils habitaient tous les deux dans le quartier de Bês, à Luanda. Après s’être fréquentés pendant trois ans et demi, et bien qu’aucune démarche légale ne fût possible, ils ont décidé d’organiser une cérémonie afin d’officialiser leur relation.
Ainsi, le 6 mai 2005, Aleksander Gregório (Chano), âgé de 21 ans, et Bruno*, âgé de 23 ans et plus connu sous le nom de Bruna, ont signé une lettre d’engagement en présence d’un notaire à la retraite.
Tous les moindres détails de la cérémonie ont alimenté les colonnes des journaux et les discussions dans les cafés – le fait que Bruna portait une robe de mariée, la liste des invités et surtout, la sexualité du couple. Les journaux ont utilisé l’adjectif « honteux » pour décrire la relation du jeune couple. Malgré les attaques, Chano et Bruna ont tenu bon et sont toujours ensemble, cinq ans après leur rencontre.
Un amour qui n’ose dire son nom
Selon les résultats d’une étude épidémiologique menée en 2007 par l’Institut national de lutte contre le VIH/SIDA (INLS, en anglais), cinq pour cent des cas de VIH/SIDA en Angola sont enregistrés chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes.
Malgré ces chiffres, le sujet demeure tabou. D’après Américo Kwanonoka, anthropologiste, « la société angolaise n’est pas encore prête à accepter les homosexuels ». La culture locale, qui est influencée par le christianisme, prône la continuité et l’expansion de la famille. En conséquence, l’homosexualité est considérée comme un affront aux lois de la nature, a dit Américo Kwanonoka.
Jane Dias, qui est née sous le nom de João Dias il y a 35 ans, a personnellement ressenti les effets d’une telle intolérance. « J’ai été lapidée dans la rue. Je pensais que j’étais l’unique travesti de Viana (un quartier de Luanda) », a-t-elle confié à IRIN/PlusNews.
Edna, une jeune fille de 21 ans qui à la naissance s’appelait Edson*, a abandonné l’école alors qu’elle était en quatrième, car ses camarades la persécutaient. Ainsi, il n’est pas étonnant que peu de personnes en Angola soient prêtes à prendre le risque et parler de leur homosexualité.
« La plupart des personnes qui nous injurient et qui nous jettent des pierres dessus dans la rue sont celles qui viennent frapper à notre porte la nuit tombée », a expliqué Jane Dias.
Le mariage comme couverture
Carlinhos Zassala, psychologue social, a indiqué que de nombreux homosexuels angolais se servaient du mariage comme un moyen d’éviter d’être stigmatisés et qu’une fois mariés, ils continuaient à avoir des relations sans lendemain avec d’autres hommes.
Dans la plupart des cas, lorsque ces individus ont des aventures d’un soir, ils n’utilisent pas de préservatifs.
En Angola, il est couramment admis que seuls les hommes efféminés sont homosexuels. En conséquence, de nombreux individus qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes ne se considèrent pas comme étant homosexuels, a souligné Roberto Campos, responsable à l’ONUSIDA, le Programme commun des Nations Unies sur le sida.
« Si un homme ne se considère pas comme étant gay, les messages sur les rapports sexuels à moindre risque ne l’atteignent pas. Cependant, le fait est que les rapports anaux non protégés présentent de nombreux risques de transmission du virus », a-t-il poursuivi.
Les hommes interrogés par les équipes d’IRIN/PlusNews ont reconnu s’être exposés à maintes reprises à des risques.
Edna a déclaré ne pas aimer utiliser des préservatifs car elle est allergique au lubrifiant. En outre, elle a confié avoir des rapports sexuels non protégés avec son partenaire, qui est marié et père de deux enfants.
Selon Edna, son partenaire a fait un test de dépistage du virus et est séronégatif. Elle s’est, à son tour, fait dépister car elle était persuadée d’avoir été contaminée.
« Il y a quatre mois, je me sentais faible et nauséeuse, j’ai donc décidé de faire un test. Le résultat était négatif, mais on m’a demandé de faire un nouveau test dans trois mois », a-t-elle dit.
Une population invisible
Comme ils sont considérés comme une population invisible, les gays ne sont pas pris en compte dans les politiques gouvernementales de lutte contre le sida, comme le plan stratégique national pour le contrôle des infections sexuellement transmissibles et le VIH/SIDA 2007-2010.
Selon les résultats d’une étude menée en 2007, par la Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes (IGLHRC), intitulée « Off the map : comment les programmes VIH/SIDA échouent à prendre en compte les pratiques entre personnes du même sexe en Afrique », les homosexuels sont exclus des programmes de lutte contre l’épidémie à travers le continent africain.
Compte tenu du « silence qui entoure l’épidémie de VIH/SIDA chez la population homosexuelle », les messages sur le sexe à moindre risque sont exclusivement adaptés aux hétérosexuels. Ainsi, les homosexuels ne sont ni informés, ni protégés. En outre, le manque d’information entraîne des problèmes dans les centres de santé.
Esmeralda, née sous le nom de Pedro* il y a 29 ans, a expliqué que lorsqu’elle s’était rendue à l’hôpital militaire de Luanda afin de subir un test de dépistage, l’infirmière lui avait dit que cela était inutile car, de toute évidence, elle était déjà contaminée.
De plus, tous les hommes interrogés par IRIN/PlusNews ont fait part de leur souhait d’accéder à des services de prévention du VIH/SIDA offerts dans un établissement adapté à leurs besoins spécifiques.
« J’aimerais que l’on puisse nous accorder une attention particulière. De nombreuses organisations nous ont déjà fait des promesses, mais à ce jour, aucune d’entre elles n’a été concrétisée », a déploré Edna.
Une politique qui évolue
En 2006, l’organisation non gouvernementale Acção Humana (Action humaine) a tenté d’élaborer un programme de prévention destiné aux homosexuels.
L’idée consistait à encourager l’utilisation du préservatif, à lutter contre la discrimination et à défendre les droits humains.
« Nous voulions un projet mis en œuvre par les gays eux-mêmes, qui auraient été chargés d’éduquer leurs pairs en se rendant dans les boîtes de nuit, les bars ou à la plage », a expliqué Pombal Maria, coordonnatrice d’Acção Humana.
L’ONG était parvenue à recruter 14 hommes qui avaient reçu une formation initiale mais, faute de ressources, l’initiative a dû être abandonnée.
En 2007, lorsque l’ONG a présenté aux donateurs une proposition pour un programme semblable, ces derniers ont rejeté la proposition car, selon eux, l’Angola n’abrite pas suffisamment d’homosexuels pour justifier le projet.
Toutefois, la population homosexuelle angolaise peut se réjouir d’une étude lancée ce mois-ci (juin, ndlr) et menée par l’INLS, en partenariat avec le Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC).
Cette étude a pour objectif de définir les habitudes et les comportements de ce groupe, ainsi que les risques et la vulnérabilité de ce dernier face au VIH.
« Cela indique un important changement au niveau politique. Autrefois, les homosexuels ne faisaient pas figure de priorité. Aujourd’hui, ils ont cessé d’être invisibles et sont inclus dans les discussions sur la santé politique et l’épidémie de VIH », a conclu Roberto Campos.
*Les patronymes ne sont pas mentionnés à la demande des personnes interrogées