Le Dr Abou Coulibaly, chirurgien dentiste de son état, n’a plus le droit d’exercer en France, depuis juillet 2006, suite à une décision de l’Ordre National des Chirurgiens dentistes. L’autorité se serait rendue compte, deux ans après avoir accepté Abou Coulibaly en son sein, que son diplôme étranger ne lui en donnait pas le droit. Le dentiste français, d’origine ivoirienne, s’est confié à Afrik sur sa délicate situation.
Après avoir inscrit le Dr Abou Coulibaly en 2004, le Conseil départemental de l’Isère, sur demande du Conseil national, procède à son retrait du tableau le 4 juillet 2006 au prétexte que son diplôme ivoirien ne lui donne pas le droit d’exercer dans l’Hexagone. Le praticien a effectivement commencé ses trois premières années de formation en Côte d’Ivoire à l’université d’Abidjan, mais a effectué ses deux dernières années d’études et soutenu sa thèse à Montpelier, en France. Lorsque la décision intervient, sa situation est d’autant plus dramatique qu’il vient d’installer son cabinet et s’est beaucoup endetté. Le chirugien dentiste est âgé de 39 ans, il vit en France depuis 1989 et a été naturalisé Français en 2003. Le Dr Abou Coulibaly n’est pas le seul dentiste d’origine ivoirienne confronté à un tel problème. Un collègue, dans l’Aude, vient lui aussi d’être rayé de l’Ordre. Et ils seraient une dizaine en France à risquer d’être radiés.
Afrik.com : Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que la décision de l’Ordre national des chirurgiens dentistes est injuste ?
Abou Coulibaly : J’ai effectué ma quatrième et ma cinquième année en France, j’ai soutenu ma thèse à Montpelier et on me demande d’aller chercher mon diplôme en Côte d’Ivoire ? Mon avocat a basé ma défense, d’une part, sur le fait que le Conseil de l’ordre a la faculté de revenir sur une décision d’inscription dans un délai légal d’un mois, la mienne est intervenue au bout de deux ans. Et d’autre part, sur les accords qui lient la Côte d’Ivoire et la France, selon lesquels les diplômes ivoiriens sont valables de plein droit sur le territoire français et réciproquement. Ces arguments ont été rejetés par le conseil national de l’ordre le 22 décembre 2006. Le refus m’a été notifié officiellement le 14 février 2006 et j’ai commencé une grève de la faim le lendemain.
Afrik.com : Dans quelles circonstances votre retrait du tableau est intervenu ?
Abou Coulibaly : J’ai commencé à travailler, en 2004, comme praticien libéral à Montpelier, dans l’Hérault, avant de travailler à Grenoble, dans l’Isère. Toute ma famille était donc à Montpelier. Je vis maritalement et je suis père de deux enfants. Après deux années d’éloignement, j’estimais qu’il était tant que je m’établisse. J’ai donc trouvé ce local à Fabrègues, qui est à 15 minutes de chez moi à Montpelier, et j’ai commencé à l’aménager. Je l’ai fait parce qu’il m’avait été expliqué verbalement – je n’ai malheureusement aucune trace écrite – que je n’avais pas obligation de m’inscrire au conseil départemental avant d’ouvrir mon cabinet. J’ai donc entamé ma recherche de cabinet fin décembre 2005, j’ai obtenu et signé mon prêt à la mi-janvier 2006. Les travaux ont commencé fin janvier, début février. En mars 2006, j’ai alors demandé mon transfert de l’Isère à l’Hérault puisque je bénéficiais d’une inscription depuis 2004, les autorisations d’exercer étant délivrées à un niveau départemental. C’est là que mes problèmes ont commencé. Ils ont alors objecté que mon diplôme n’était pas français. Le conseil départemental de l’Ordre a par conséquent procédé à mon retrait du tableau le 4 juillet 2006.
Afrik.com : Vous ne faites pas l’objet d’une radiation, mais d’un refus de transfert …
Abou Coulibaly : Absolument ! La radiation intervient généralement quand on a commis une grave faute professionnelle. Mon problème est plutôt administratif. Cependant, radiation ou retrait du tableau, le résultat est le même : je n’ai plus le droit d’exercer.
Afrik.com : Vous dites que cette décision relève du malthusianisme. Pourquoi ?
Abou Coulibaly : Je me suis inscrit de façon licite, j’ai fourni tous les papiers qu’ils m’avaient réclamé. Je ne comprends pas qu’on puisse demander à quelqu’un qui a fait sa thèse en France d’aller réclamer son diplôme dans le pays où il a commencé ses études et dont il est originaire. D’autant plus que dans le cadre de mon inscription à l’ordre, ils m’ont demandé d’aller faire valider mon diplôme avec mon procès verbal de thèse à la Direction des affaires sociales et sanitaires de Grenoble. J’ai tout fait comme un praticien normal. De plus, la décision du Conseil de ne me radier 23 mois après le délai légal n’est même pas motivé.
Afrik.com : Pensez-vous que c’est une décision discriminante ?
Abou Coulibaly : Il ne faut pas voir le racisme partout et c’est pour cela que je n’ai pas porté mon cas devant la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ndlr). Mais parfois, je pense qu’on en est pas très loin. Surtout quand j’entends dire, par le président de l’ordre des chirurgiens-dentistes de l’Hérault, Olivier Davron, « ces gens-là auraient dû retourner chez eux après leur diplôme… », en parlant de nous les praticiens africains qui sommes aussi Français. Sans quoi nous n’aurions pas eu le droit d’exercer sur le territoire français. J’ai passé mon diplôme d’orthodontiste en tant que Français. On nous dévalue par rapport aux autochtones alors qu’on a les mêmes diplômes qu’eux, voire plus. C’est un complexe de supériorité qui n’a pas lieu d’être.
Afrik.com : Vous ne seriez pas le seul dentiste d’origine ivoirienne à ne pas avoir le droit de pratiquer. Un de vos confrères dans l’Aude n’a plus, lui aussi, le droit d’exercer…
Abou Coulibaly : Son affaire est, semble-t-il, intervenue quelques mois avant la mienne. C’est peut-être d’ailleurs ce qui m’a valu tous mes ennuis. Quant aux autres cas éventuels, l’Ordre a avoué ne pas avoir pu les localiser.
Afrik.com : Quel recours vous reste-t-il aujourd’hui ?
Abou Coulibaly : Je suis convoqué jeudi prochain au ministère de la Santé, je ne sais pas à quelle sauce je vais être mangé. Mais je vais plaider mon cas afin qu’on me rétablisse dans mes droits. Je suis au chômage, je perçois les Assedic alors que j’ai un cabinet. Sans compter que si rien n’est fait, je vais bientôt me retrouver interdit bancaire et fiché à la Banque de France. Car j’ai fait un prêt bancaire de 140 000 euros pour financer mon cabinet et j’en ai pour 50 000 euros de matériel. J’ai beaucoup investi dans ce cabinet et je paie depuis 15 mois près de 800 euros de loyer. Si ça ne marche pas, ce à quoi je ne peux décemment pas me résoudre, il faudra recommencer le combat. Je suis prêt à recommencer la grève de la faim que j’ai interrompue mercredi dernier, date à laquelle j’ai été reçu par le préfet de l’Hérault, qui m’a obtenu le rendez-vous de jeudi prochain.