La romancière mauricienne Ananda Devi fait éclater dans » Moi, l’Interdite » la force et la beauté furieuses de son écriture originale. Cette dernière sert une histoire cruelle et dérangeante, à découvrir aux éditions Dapper.
» Je suis née avec un bec-de-lièvre. Dans les villages, ils n’appellent pas cela une difformité ; ils l’appellent une malédiction. Mais je ne suis pas une malédiction. (…) Je suis une mise en garde. » L’héroïne de » Moi, l’Interdite » est d’une lucidité angoissante au vu du sort qui lui est réservé. A part le sobriquet de Mouna (la guenon), on ne lui connaît pas de nom. Cause de tous les malheurs de sa famille – mauvaise récolte, sécheresse ou cyclone -, elle attire sur elle la haine du village en son entier. La cruauté des siens est sans limites. Comme dans les contes de notre enfance, ses parents ne savent plus quoi faire pour se débarrasser d’elle.
» Personne n’a vu que la sagesse de mes yeux était beaucoup plus lourde que celle du temps, que mon teint était une terre veinée d’or et que mes cheveux faisaient un bruit d’océan lorsque je bougeais. » Abandonnée dans le four à chaux, dévorée par les rats, elle ne trouvera de l’humanité que dans les yeux d’un chien jaune.
Pour s’évader de ce monde qui la refuse et la nie, elle repense à sa » grand-mère grenier « , mise elle aussi au ban de la famille. Ses jambes inutiles en ont fait une bouche trop encombrante à nourrir, et ses enfants ont préféré la laisser pourrir au-dessus de leurs têtes. Bercée par le conte unique de sa grand-mère, celui du Prince Bahadour et de la belle Princesse Housna, morts de s’être aimés, elle recherche désespérément amour et tendresse.
Une histoire d’eau croupie
Le livre d’Ananda Devi, née au sud de l’île Maurice, est poignant et mystique. La romancière trempe sa plume dans les épices chaudes de son île et l’aiguise sur les coeurs de pierre de villageois cruels. Elle nous livre » cette histoire d’eau croupie « , » ce songe d’épines » qui a la beauté tragique des destins condamnés. Le récit, malgré le huis-clos souvent étouffant dans lequel se retrouve l’héroïne, est bien ancré dans la réalité de l’île Maurice.
L’auteur n’hésite pas à mettre quelques réflexions amères dans la bouche de son personnage : » L’île, comme mes soeurs, s’habille de volants roses qui craquellent de mensonges (…) Elles suivaient la voie tracée pour elles depuis des siècles quand avait commencé à s’abolir la pensée des femmes. Grimpant une côte à peine plus escarpée qu’un monticule d’ordures et croyant ainsi atteindre le sommet de leurs envies. »
Commander Moi, l’Interdite, par Ananda Devi, éd. Dapper
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