Les Ivoiriens se préparent pour un second tour des présidentielles assez tendu le 28 novembre et espèrent que le calme fragile qui a entouré le premier tour le 7 novembre pourra se maintenir. Mais ils craignent que les fissures de plus en plus évidentes ne fassent s’effondrer la façade.
Cette élection très attendue a été repoussée à plusieurs reprises et jusqu’à présent, les choses se passent relativement bien. Les observateurs internationaux ont dans l’ensemble vanté la bonne conduite des votants et des partis politiques.
Les dernières élections d’octobre 2000 ont connu de terribles scènes d’émeutes, quand les supporters de l’actuel président Laurent Gbagbo ont envahi les rues, après l’annonce à la télévision de sa propre victoire par le chef militaire Robert Guéi. La décennie suivante de la présidence de M. Gbagbo a été marquée par des conflits internes et la partition de facto de la Côte d’Ivoire.
Pour Patrick N’Gouan, président de la Convention de la Société Civile Ivoirienne (CSCI), une coalition, il ne faudrait pas que l’absence relative de problèmes sérieux liés à l’élection jusqu’à maintenant crée une fausse impression de sécurité. « Le premier tour s’est bien passé parce que les deux partis qui auraient pu provoquer des troubles sont passés », a dit à IRIN M. N’Gouan.
« Mais le problème est que chaque parti compte un certain nombre de radicaux et la question qui se pose est donc la suivante : les radicaux du parti perdant seront-ils capables d’accepter facilement la défaite ? C’est ce dont nous avons tous peur. Nous pensons que le plus dur reste à venir ».
Le score de M. Gbagbo au premier tour a été de 38 pour cent, tandis que l’ancien Premier ministre Alassane Ouattara a obtenu 32 pour cent des voix.
La campagne des trois principaux candidats au premier tour a été dominée par les idées d’identité ethnique et d’allégeance.
Le président Gbagbo qui appartient au groupe ethnique des Bété, s’est concentré principalement sur le sud-ouest, a souvent utilisé un ton nationaliste intransigeant, accusant M. Ouattara d’être le représentant de sinistres intérêts « étrangers ». Ce qui est une allusion à peine voilée à l’ancienne polémique qui voudrait que M. Ouattara soit réellement Burkinabé et non Ivoirien, une accusation souvent proférée plus ouvertement par les partisans loyalistes de M. Gbagbo du Front Populaire Ivoirien (FPI). La base de soutien de M. Ouattara, officiellement réunie au sein du Rassemblement des Républicains (RDR), est souvent vue comme principalement issue du nord et musulmane.
Tandis que l’ancien Premier ministre dispose d’importantes poches de soutien à Abidjan et dans d’autres coins du pays, il a obtenu son meilleur score au nord et au nord-ouest, des régions dont se sont emparés les rebelles des Forces Nouvelles (FN) quand ils ont pris les armes en 2002. Le FN dit que cette insurrection a été déclenchée par des politiques de discrimination et de marginalisation persistantes de la part des gouvernements dominés par le sud. Le RDR de M. Ouattara a exploité les mêmes griefs.
De nombreux supporters du troisième candidat en lice, l’ancien président Henri Konan Bédié, représentant le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), sont originaires de la propre tribu de l’ancien président, les Baoulé, qui se concentrent surtout dans les régions centre et est du pays. Les votes des Baoulé auront une large influence sur les résultats du second tour, a dit à IRIN M. N’Gouan. M. Bédié a accepté sa défaite au premier tour et a appelé les quelque 25 pour cent d’électeurs ayant voté pour lui à se rallier à M. Ouattara au second tour.
Dans les jours qui ont suivi l’annonce des résultats du premier tour, le CSCI et une partie de la presse ivoirienne ont fait état de tensions entre les Bété et les Baoulé, notamment dans les régions sud-ouest du Bas-Sassandra, Haut-Sassandra et Fromager.
« L’appartenance ethnique, la religion et l’argent ont pesé lourdement sur les choix de l’électorat. Quand un vote se fonde sur ce genre de choses, on n’est plus dans les arguments rationnels. Ce sont des forces plus ou moins irrationnelles qui ont coloré le vote », a fait remarquer M. N’Gouan.
Des coups de machette
Selon un villageois de Zebreguhe dans la région du Fromager, la communauté est calme maintenant, mais la situation reste tendue après une attaque qui a sévèrement blessé un électeur.
« Dans un petit village comme celui-ci, nous savons pour qui nos amis vont voter et des membres de la tribu Bété ont essayé d’empêcher des Baoulé de voter », a dit à IRIN Joas M’Bra. M. M’Bra a raconté qu’un villageois, connu sous le nom de « Konan », avait tenté de résister aux pressions mais qu’il avait reçu des coups de machette.
« Nous avons accepté les excuses exprimées, mais nous allons prendre des précautions lors du second tour », a dit M. M’Bra, ajoutant que certains Baoulé dans la ville s’abstiendraient de voter par peur des représailles.
Des sources internes à la communauté Baoulé à Soubré au Bas-Sassandra ont rapporté une forme d’intimidation similaire : « Des jeunes du FPI [pro-Gbagbo] ont essayé d’empêcher les Baoulé de voter », a dit à IRIN un Baoulé. « Ces jeunes étaient armés de matraques en bois et de machettes. Ils savaient que nous allions voter pour le PDCI. Après le vote, les jeunes ont insulté les Baoulé en criant : “Si Gbagbo ne gagne pas, nous vous chasserons de vos plantations” ».
On a aussi entendu parler de Baoulé ayant dû partir de chez eux pendant la période des élections. Un chef de district, Daniel N’Goli, a dit à IRIN que dans la ville d’Issia au Haut-Sassandra, quelque 60 villageois Baoulé qui avaient quitté leur maison dans les jours suivant l’élection étaient rentrés chez eux.
Le directeur du FPI pour Issia a dit à IRIN que les accusations de violence par des supporters du parti au pouvoir étaient exagérées.
« C’est de la politique et l’opposition exagère. Nous ne chasserions pas des gens dont nous avons besoin pour gagner les élections », a dit Séraphin Gahi Bahouan.
Tout espoir n’est pas perdu
Les organisations de la société civile ont souligné que la sécurité devait être renforcée pour le second tour des élections, afin de prévenir le risque d’intimidation des votants. Mais le délai de l’annonce des résultats provoque aussi de sérieuses inquiétudes.
« La commission électorale doit faire un effort. Si la population doit attendre plus de 24 heures pour avoir les résultats, nous serons assis sur un baril de poudre », a dit à IRIN un représentant de la société civile, sous couvert d’anonymat.
Pour M. N’Gouan, tout espoir n’est pas perdu ; l’issue peut encore être positive : « Si les sociétés civiles font un bon travail de sensibilisation de la population, si les Nations Unies et les autres forces impartiales parviennent à s’engager dans le processus de façon persuasive, cela pourrait permettre aux élections de se dérouler en douceur », a-t-il dit.
Source Irin : Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies