Du point de vue de sa genèse et de son rôle politique, la « Grande coalition » des sociaux démocrates (SPÖ) et des conservateurs (ÖVP) en Autriche face au FPÖ, le parti ethno-nationaliste xénophobe autrichien, présente des analogies avec la Grande coalition des républicains (RDR) et des conservateurs (PDCI) en Côte d’Ivoire face au FPI, le parti ethno-nationaliste xénophobe ivoirien.
A l’occasion de la victoire de la « Grande coalition » autrichienne devant le FPÖ qui gagne près de quatre points à 21,40% (17,54% en 2008) aux élections législatives de ce dimanche 29 septembre 2013, une comparaison entre la coalition partisane autrichienne SPÖ/ÖVP et la coalition partisane ivoirienne PDCI/RDR, connue sous le nom de RHDP n’est pas inintéressante. Elle comporte au contraire des enseignements capitaux qui pourraient éclairer la problématique politique ivoirienne.
Une coalition partisane contre l’ethno-nationalisme xénophobe
En Autriche, la « Grande coalition » entre le parti social-démocrate (SPÖ) et le parti conservateur autrichien (ÖVP) permit de surmonter les traumatismes de la guerre civile de 1934, puis de l’austro-fascisme et du nazisme après la seconde Guerre mondiale. En Côte d’Ivoire, la coalition du RDR et du PDCI fut décisive pour l’avènement de la démocratie électorale représentative en décembre 2010. Elle provoqua la chute de la dictature ethno-nationaliste xénophobe du FPI qui s’était substituée à la République en 2000. Elle permit de surmonter le clivage sociopolitique qui avait conduit à la guerre civile. En Autriche, après le nazisme, la Grande coalition SPÖ/ÖVP constitue, en quelque sorte, un cordon sanitaire qui protège la République et la démocratie autrichienne contre le retour au pouvoir de l’ethno-nationalisme xénophobe. De même, en Côte d’Ivoire, la Grande coalition du RDR et du PDCI joue aussi le rôle d’un cordon sanitaire protecteur de la République et de la démocratie contre le retour au pouvoir de l’ethno-nationalisme xénophobe antirépublicain incarné par le FPI et ses satellites, qui se situent en réalité à l’extrême droite de l’échiquier politique ivoirien.
En Autriche, après l’effondrement en 1945 de la dictature nazie, les Autrichiens ont privilégié depuis 68 ans les alliances entre le SPÖ et l’ÖVP, gage de stabilité dans le pays. En Côte d’Ivoire, après l’effondrement de la dictature ethno-nationaliste xénophobe de l’ex-régime, les Ivoiriens qui ont choisi de donner leur voix à la coalition du PDCI et du RDR devraient continuer à privilégier cette alliance comme gage de stabilité dans le pays.
Alliance morale fondée sur des convictions démocratiques
Pour qu’il en soit ainsi, il faudrait cependant que les hommes politiques qui constituent la coalition ivoirienne déclinent au quotidien les lettres de créance de leur crédibilité politique par des conduites honorables et par une réputation morale au-dessus de tout soupçon. Dans la nouvelle politique des démocraties contemporaines, la réputation et l’honneur constituent, en effet, les principales médiations organisatrices de la confiance. Elles sont devenues comme l’écrit Pierre Rosanvallon « le dépôt de garantie de l’homme politique ». Les récentes élections législatives autrichiennes constituent à cet égard un exemple intéressant à plusieurs titres pour la Côte d’Ivoire ! La coalition autrichienne doit constituer une source d’inspiration utile pour la coalition républicaine du PDCI et du RDR.
Gage de stabilité économique et politique pour l’Autriche, en tant que cordon sanitaire contre le péril de l’extrémisme et de la xénophobie, la pérennité de l’alliance est garantie par un modus vivendi qui assure l’autonomie des deux formations. Mais cette autonomie est assortie d’une profession de foi. Quelles que soient les divergences qui les opposent, le principe de « la grande coalition » demeure. Le parti de la démocratie sociale (SPÖ) a toujours catégoriquement rejeté une alliance avec le FPÖ ethno-nationaliste. Les appels du pied du FPÖ au SPÖ, pour remodeler l’équilibre du trinôme à son profit, sont toujours restés vains. Constituée en Côte d’Ivoire pour restaurer le contrat social républicain et préserver la démocratie ivoirienne du nationalisme communautaire xénophobe, à l’image de la coalition politico-morale du SPÖ/ÖVP contre l’extrémisme xénophobe d’inspiration nazie en Autriche, la grande coalition RDR/PDCI en Côte d’Ivoire devrait être soudée par une alliance morale de principe qui transcende les intérêts partisans étroits des deux formations. En Autriche, il est impensable que, pour accéder au pouvoir, l’une des deux formations de la « Grande coalition » passe, par égoïsme partisan en raison de divergences internes, une alliance contre-nature avec un parti d’extrême- droite antirépublicain au détriment des intérêts communs de la « Grande coalition » et de l’intérêt général de l’Autriche ! En Côte d’Ivoire, la pérennité de la « Grande coalition » RDR/PDCI doit être soutenue par la conviction républicaine et démocratique des hommes politiques qui la constituent. L’intérêt commun de la coalition doit primer ; et cet intérêt doit être déterminé par l’intérêt général de la Côte d’Ivoire.
En Autriche, l’alliance morale de principe du SPÖ et de l’ÖVP est structurée par la conviction démocratique des dirigeants des deux partis. Cette alliance, que leurs divergences partisanes ne sauraient entamer, est soutenue par la majorité des électeurs autrichiens dont la conscience politique critique est aiguisée par la mémoire des méfaits du nazisme. En 2007, des querelles internes provoquèrent une scission de la « Grande coalition » qui n’aboutit pas cependant à un remodelage des alliances partisanes et donc à une transformation du paysage politique autrichien. En effet, les électeurs reconduisirent la « Grande coalition » SPÖ/ÖVP aux élections anticipées de 2008 malgré une grosse perte de points pour les deux partis à ces élections qui virent la progression de l’extrême droite. A l’exemple de la pérennité de la coalition autrichienne, il est à espérer que les divergences partisanes entre PDCI et RDR n’entament pas la pérennité de la « Grande coalition » ivoirienne ! Cette alliance devrait être soutenue par un développement de la conscience politique et critique du peuple ivoirien qu’une gouvernance exemplaire soucieuse de l’intérêt général peut aider à bâtir.
Bonne gouvernance morale remède contre l’ethno-nationalisme
Plein d’enseignements est à cet égard, sur le registre de l’importance de la bonne gouvernance morale, le fait que malgré son bon bilan économique assorti d’un taux de chômage contenu sous les 5%, la « Grande coalition » autrichienne SPÖ/ÖVP aie gagné la récente élection en perdant de nombreux points. Les scandales de corruption et les querelles internes qui ont entaché sa gouvernance ces dernières années ont souillé le blason de la « Grande coalition » autrichienne pro-européenne et l’ont, en partie, décrédibilisée devant les électeurs. Ils ont favorisé la remontée du FPÖ, qui avance avec le thème de la corruption de certains membres de la coalition SPÖ/ÖVP, et avec celui de l’identité autrichienne menacée par « l’invasion étrangère » provoquée par l’ouverture économique.
Pour contenir la remontée des partis ethno-nationalistes ivoiriens qui remodèlent leur nationalisme communautaire xénophobe en lui donnant une tonalité sociale sur le thème de la défense de la redistribution des richesses, de la résistance contre un pouvoir monopoliste, corrompu et népotiste, la coalition PDCI/RDR doit opposer aux critiques, une bonne gouvernance à la fois morale et économique concentrée sur le service de l’intérêt général. Cette gouvernance doit résoudre intelligemment la tension entre les deux exigences contradictoires que constituent l’investissement et la redistribution pour répondre à l’exaspération croissante d’une population impatiente de voir se concrétiser l’impératif de redistribution fut-ce au détriment de l’investissement. Cette tension, qui relève d’impératifs économiques et politiques divergents, doit donc être expliquée aux populations et résolue institutionnellement de manière équilibrée, à travers les outils qu’offre la démocratie. Cette bonne gouvernance morale et économique, dont dépend la confiance des électeurs, doit rejeter les stigmates de « la politique du ventre », de la corruption et du népotisme. Elle constitue la garantie absolue de la reconduction de la coalition ivoirienne PDCI/RDR au pouvoir. Car ces tares peuvent entamer, en ces temps de crise économique, la crédibilité de la coalition et rendre les populations accessibles aux sirènes de l’ethno-nationalisme et à sa logorrhée mensongère et inconsistante. La remontée électorale du FPÖ autrichien lors des récentes élections législatives, l’accès au parlement Grec du parti ethno-nationaliste xénophobe d’inspiration nazie, Aube dorée, tout comme la crédibilisation croissante du Front national xénophobe français, auquel le Front populaire ivoirien est idéologiquement lié, constituent des signaux d’alarme ! Cette avancée de l’ethno-nationalisme xénophobe appelle avec urgence un ressourcement moral de la gouvernance de la coalition ivoirienne PDCI/RDR.