Le gouvernement malien et l’Union européenne ont inauguré hier, à Bamako, le Centre d’Information et de Gestion des Migrations. Premier du genre, il est destiné à lutter contre l’immigration clandestine et à promouvoir les migrations de travail légales. Aminata Traore, Présidente du Forum pour un autre Mali (FORAM), a accepté de nous livrer son point de vue sur cette nouvelle structure.
Ancienne Ministre de la Culture et du Tourisme de 1997 à 2000, Aminata Dramane Traore, aujourd’hui Présidente du FORAM, est une altermondialiste affichée. Elle lutte contre le néolibéralisme et veut œuvrer au développement du Mali. Alors que s’achève la troisième édition de l’initiative « Migrances » qu’a organisé le FORAM à Bamako du 3 au 5 octobre, Aminata Traore a accepté de nous répondre. Plus que critique à l’égard du Cigem inauguré hier en présence du président malien, Amadou Toumani Touré, et du Commissaire européen en charge du Développement et de l’Aide humanitaire, Louis Michel, elle voit dans cette nouvelle institution un moyen pour l’Union Européenne de verrouiller encore un peu plus ses frontières. Elle dénonce la « bunkerisation » qui s’opère au Nord et la responsabilité occidentale dans les migrations africaines.
Afrik.com : Que pensez-vous de la création du Cigem?
Aminata Traore : Ce centre est, à mon sens, une réponse sans lien avec les problèmes posés. Le Mali est dans une situation douloureuse caractérisée par le chômage et le désespoir des jeunes. Un bâtiment de plus ou de moins au Mali ne résoudra rien. Nous ne manquons pas de structures d’information ici. Ce centre est, selon moi, le symbole de l’externalisation des frontières de l’Europe. La question qu’il faut se poser est « pourquoi les enfants de ce continent partent ? ». La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont infligé au Mali la logique de l’argent. L’Occident se retrouve aujourd’hui pris à son propre piège.
Afrik.com : Mais le Mali a accepté ce centre…
Aminata Traore : Il n’y a eu aucune demande du Mali. Il s’agit d’une initiative unilatérale de l’Union Européenne. Nous n’avons pas vraiment eu le choix. Cela reflète clairement la « bunkerisation » de l’Europe. Pour l’Etat malien malheureusement «un mauvais projet vaut mieux que pas de projet du tout». C’est un manque de respect envers les citoyens.
Afrik.com : Le Centre va travailler en coopération avec l’ANPE malienne et le Ministère de l’emploi. Que pensez-vous de cette collaboration ?
Aminata Traore : C’est une coquille vide, une fausse idée. Il y a une énorme demande d’emploi au Mali. Les emplois doivent être créés, le problème n’est pas de les répartir. Quand il y a 10% de chômage en Europe, tous les politiques s’inquiètent et on dit que c’est la crise. C’est compréhensible bien sûr. Ici au Mali il y a 50 voire 60% de chômage! Des milliers de vies sont en jeu. Ce centre est pour moi le « machin » de Louis Michel et ce n’est pas ce centre et encore moins ce genre de politique qui vont résoudre le problème de l’immigration clandestine.
Afrik.com : Ce centre serait donc avant tout une mesure sécuritaire ?
Aminata Traore : Il y a eu un tel bazar autour de l’inauguration ce matin. Impossible d’approcher de près les participants sans être accrédité. C’est la première fois qu’une inauguration même officielle se déroule ainsi à Bamako. C’est bien le signe d’un cynisme et d’un sentiment d’insécurité des Européens même quand ils viennent chez nous. Notre agriculture a été ruinée, nos entreprises désétatisées et c’est ceux qui nous ont torpillé qui viennent aujourd’hui nous agresser. Le Cigem n’aura qu’un effet : dilapider l’argent du contribuable européen. Ils nous ont embarqués avec eux mais aujourd’hui l’embarcation coule avec des innocents.
Afrik.com : De qui parlez-vous quand vous dites « ils » ? L’Union Européenne ? La banque Mondiale ? Le FMI ?
Aminata Traore :Les Etats les plus puissants, la poignée de possédants et de gagnants. Ils ont tout chamboulé. Ils nous ont fait des promesses de prospérité que l’on ne voit toujours pas venir. Ils ont commis des fautes graves et l’immigration est aujourd’hui le revers de la médaille.
Afrik.com : Le Centre a pour but de promouvoir le développement malgré tout…
Aminata Traore : Il ne s’agit pas de notre développement. Quand ils parlent «développement», ils parlent « croissance », « PIB », « ouverture à l’investissement étranger »,… Eux se développent mais nous absolument pas. Et ils nous font croire en plus qu’ils souhaitent notre développement, c‘est un système très hypocrite.
Afrik.com : Etiez-vous présente lors de l’inauguration du Centre ?
Aminata Traore : Non je n’y étais pas. RESF, la CIMADE, Médecins du Monde n’y ont pas participé non plus. C’est à côté de ces gens là que je veux travailler, je me sens proche de leur démarche. Je me reconnais dans leur dynamique.
Afrik.com : Vous êtes présidente du FORAM, le Forum pour un autre Mali, qui réunit du monde autour des problématiques actuelles du Mali mais vous êtes aussi à l’origine de « Migrances ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Aminata Traore : « Migrances » est une initiative citoyenne qui a vu le jour après les événements de Ceuta et Melilla en 2005. Nous en sommes aujourd’hui à la troisième édition. Le mot « migrance » est un mélange de « migration », d’ « errance », de « souffrance ». Ce mot est très symbolique.
Afrik.com : Quelles sont exactement vos activités ?
Aminata Traore : Le format de l’initiative a un peu changé cette année mais nous débattons, nous discutons avec les migrants, les personnes refoulées. Nous organisons un contre sommet pour répondre au sommet sur l’immigration qui se tiendra à Paris dans dix jours [[Du 20 au 21 octobre 2008, Paris accueille le deuxième sommet euro-africain sur l’immigration]]. Le but est de prendre la parole, de mener une réflexion construite. Nous serons aussi présents à Niamey du 25 au 28 novembre pour le Forum Social Africain (FSA). Nous lancerons à ce moment là « la caravane de la dignité » qui doit partir du Niger pour arriver à Belém au Brésil en janvier 2009, date à laquelle se tiendra le Forum Social Mondial (FSM).
Afrik.com : Finalement quel est votre message ?
Aminata Traore : Je suis contre les discours misérabilistes. La pauvreté n’est pas la seule cause des migrations africaines. Il faut discuter, la dynamique doit être mondiale. Le problème aujourd’hui c’est qu’il est quasiment impossible de défier le discours dominant. Pourquoi y a-t-il autant de détresse ? A cause des politiques néolibérales. Les pays d’où partent tous ces jeunes sont soumis. Tout le monde a le droit de partir, de circuler mais malheureusement cela ne devrait pas être une obligation pour des millions de jeunes ici. On nous y contraint économiquement et on même temps on nous en empêche physiquement, c’est très paradoxal.
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