Amadou Kourouma est violemment attaqué par la presse ivoirienne. Les journaux nationaux mettent en cause son » ivoirité « . L’écrivain se défend de soutenir la rébellion et prêche pour la réconciliation nationale. Interview.
Amadou Kourouma est devenu la nouvelle cible de la presse ivoirienne. » Prisonnier de ses origines malinké « , selon le ministre ivoirien de la Communication, qui fait le procès de l’écrivain dans les colonnes de Fraternité Matin. » Notre écrivain n’est pas en mesure de dire à ses interlocuteurs s’il a obtenu la nationalité ivoirienne par adoption ou par naturalisation « , accuse encore L’Inter. L’auteur de Allah n’est pas obligé (prix Renaudot 2000) n’est apparemment plus en odeur d’ivoirité. A l’origine de cette campagne, une phrase malheureuse qu’il aurait eue lors d’une récente conférence en Allemagne, et qui aurait pu laisser croire qu’il soutenait la rébellion. Amadou Kourouma s’explique.
Comment expliquez-vous que la presse ivoirienne (L’Inter, Fraternité Matin) se soit ainsi soudainement déchaînée contre vous ?
Amadou Kourouma : La presse ivoirienne a de fausses informations. Moi, j’ai dit, lors d’une conférence à Fribourg où je m’étais rendu pour la sortie de mon livre, Allah n’est pas obligé, en traduction allemande, qu’il y avait des tueurs en Côte d’Ivoire. Mais je n’ai pas dit qu’il y avait des tueurs à gage dans l’entourage du président ! Or c’est ainsi que mes propos ont été repris par la presse. Le ministre de la Communication, le Pr Séry Bailly, aurait dû m’appeler avant pour vérification au lieu de dire que je suis un écrivain fatigué et que je soutiens la rébellion !
Que pensez-vous de l’ » ivoirité » ?
Amadou Kourouma : L’ivoirité est une absurdité. C’est l’ivoirité qui nous a mené vers ce désordre. Le président Houphouët-Boigny est parti sans qu’il y ait eu conférence nationale et Henri Konan Bédié était trop prisonnier du sérail pour pouvoir faire des réformes de fond. Le général Robert Gueï était un fou de pouvoir. Certes, Laurent Gbagbo a été mal élu : il y a eu des révoltes et des morts. Mais il a fait le forum de réconciliation nationale et il a appliqué les décisions qui y ont été prises. Alassane Ouattara (le principal opposant de Laurent Gbagbo) a eu la nationalité ivoirienne et il y a eu un gouvernement d’union nationale. On y était presque, ce fameux problème de l’ivoirité était presque résolu !
Que pensez-vous des récentes déclarations de Laurent Gbagbo, depuis le début du conflit, sur le thème de l’ » ivoirité » ?
Amadou Kourouma : Je pense que Laurent Gbagbo était sur le point de résoudre ce problème, mais que, depuis que ces » gens » sont revenus, il y a beaucoup de morts. A Abidjan, tout le monde a peur. Mes amis m’appellent de là-bas, ils sont cachés, ils ont peur. L’ivoirité est une absurdité en tant qu’argument politique : c’est comme si Chirac reprenait le discours de Le Pen. Le Pen, ici, c’est Bédié.
En temps de crise, comme en ce moment, ne croyez-vous pas qu’il est du devoir d’un écrivain tel que vous de prendre parti, de s’engager ?
Amadou Kourouma : Bien sûr qu’on a le devoir de s’engager, de prendre position. Mais dans cette situation on ne sait même pas quelle position il faut prendre ! Les » gens » du Nord ne disent pas ce qu’ils veulent et Gbagbo a été pris de cours. Je prêche l’apaisement. Ne détruisons pas ce qui a été fait en Côte d’Ivoire. Déjà, pour effacer ce que cette guerre a détruit en deux mois, il faudra beaucoup de temps…Je pense tous les jours à ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Je suis terriblement inquiet. Cela m’empêche de travailler. Je ne peux pas écrire sur le sujet tant que je ne connais pas la fin de l’histoire…