Il se nomme Alioune Dieng, plus connu sous le nom d’Aly Dieng. Dans le quartier paisible des HLM 10ème où il habite depuis 1976, l’homme est connu comme étant un ancien agent de la Poste. Son CV va pourtant au-delà, car il a fait la guerre sous les commandes de l’armée française : en Indochine comme en Algérie. Des morts, il en a vu, comme tout bon soldat ayant été au front, mais aussi des côtes et des quais, car la plupart des expéditions se faisaient à bord de bateau. L’homme, encore solide malgré ses 94 ans, a toutefois beaucoup de trous de mémoire. Il a confié à AFRIK.COM les quelques faits dont il se souvient encore. Sans entrer dans le détail des atrocités liées à la guerre.
Né le 29 juin 1927 à Saint-Louis (Nord du Sénégal), rien ne le prédestinait à regagner les rangs de l’armée, mais c’était sans compter avec le service militaire obligatoire à l’époque. Ayant grandi dans son Saint-Louis natal, c’est à l’âge de 16 ans que le jeune Alioune Dieng quittait sa ville natale et ralliait la région de Thiès pour travailler avec le service des Eaux et Forêts. « Après ma formation, j’ai été détaché à Bandia (une vingtaine de kilomètres de Thiès, en allant vers le département de Mbour). Sur place, il y avait des fours. Par deux fois, j’ai vu de mes yeux des hommes se faire cuire comme du gibier, car ils sont tombés dans ces fours. Des images que je ne pouvais pas supporter. Je savais aussi que je n’étais pas à l’abri », relate le nonagénaire, qui décidait alors de quitter ce poste pour retourner à Saint-Louis.
En 1945, l’homme se voit proposer un travail à la Poste de Thiès. « Étant agent de la région de Thiès, on m’affecte au bureau de Poste de Bandia et j’étais seul comme agent. De Bandia, j’étais affecté à Poponguine. C’était à l’époque du Gouverneur général Pierre Cournarie, qui avait d’ailleurs sa maison de repos non loin de là, à Poponguine. Je me rappelle d’ailleurs à l’époque, l’ancien Cardinal Hyacinthe Thiandoum était séminariste dans la localité. A mes 18 ans, je quittais Poponguine pour rejoindre le bureau de Poste de Mbour où je venais d’être affecté. Je suis resté là-bas jusqu’à mes 20 ans, l’âge requis pour le service militaire ». Alioune Dieng demande alors une « disponibilité sans traitement » pour intégrer les rangs de l’armée des colonies françaises d’Afrique.
« En 1947, nous avons été regroupés à Saint-Louis pour incorporation, puis nous sommes revenus à Thiès, au quartier du 10ème Régiment d’Infanterie d’Afrique d’Outre-Mer ». Dans cette localité se trouvait le Quartier général de l’armée française. Après une formation de six mois aux métiers de la guerre, l’homme a été libéré et n’a pas tardé à regagner sa ville natale de Saint-Louis. « J’ai alors repris service au sein de la Poste de Saint-Louis avant d’être rappelé dans l’armée, en 1950. Apparemment c’était pour une urgence, car, de Saint-Louis, nous sommes directement acheminés sur Dakar, au DIC (Dépôt des Isolés Coloniaux) pour un embarquement par bateau pour la France. A bord de cette embarcation, nous avons passé deux jours ou plus pour rejoindre la ville française de Marseille ».
« Arrivé à Marseille, nous avons directement rejoint Toulon, où j’ai été affecté au 4ème RIC (Régiment d’Infanterie Coloniale). De Toulon, nous avons rallié Fréjus pour préparer la piste du Combattant devant nous mener en Indochine. Après quelques semaines de préparation, nous sommes ensuite retournés à Marseille pour embarquer à bord du bateau du nom d’Esco Grimh, en direction de l’Indochine. Le voyage entre Marseille et Saïgon avait duré une vingtaine de jours. Nous avions fait deux escales : une à… (il cherche le nom, mais ne trouve pas). Je ne me rappelle plus du nom. L’autre escale, la première, c’était à Port-Saïd, en Égypte. Je me souviens que nous avions perdu beaucoup de temps au niveau du Canal de Suez. Il fallait attendre la sortie de quelques bateaux, avant que le nôtre puisse passer ».
« Après la seconde escale, cap était mis sur Saïgon. Capable de transporter plus de 3 000 hommes, cette embarcation française ne manquait de rien. A l’intérieur, il y avait toutes les commodités », se rappelle l’homme trouvé dimanche soir, dans son domicile. Les souvenirs se perdaient au fil des ans, impact sans doute de l’âge. Il lui fallait parfois une à deux minutes, juste pour trouver le nom d’une ville. Épreuve qu’il ne réussissait pas tout le temps. En tout cas, cette étape d’Indochine a visiblement marqué sa vie, en atteste ses multiples moments de songe durant cette partie de son témoignage. « Après avoir traversé la Mer Rouge, on était quasiment à Saïgon où des véhicules de l’armée française nous attendaient. Une fois sur la terre ferme, nous sommes ventilés dans Saïgon. J’étais détaché au 821ème Bataillon de Transmission. Je faisais partie de ceux qui étaient chargés de livrer le matériel de Saïgon à Haïphong (ville du Vietnam). Ce matériel était alors acheminé vers Hanoï. Les véhicules devaient d’abord traverser le pont Doumer, long de plus de 1 500 m, qui reliait Haïphong à Hanoï (il s’agit du pont Paul Doumer, long de 1600 mètres) ».
« Après deux ans passés en Indochine, nous avons levé le matériel, suite à l’attaque de Dien Bien Phu, avec le Général de Castrie aux commandes. La guerre était terminée. Nous sommes alors retournés à Marseille », a témoigné le nonagénaire, qui a évoqué un devoir de réserve, l’empêchant d’entrer dans certains détails. Des détails dont beaucoup se sont dissipés avec le temps. En mémoire, il a encore dans son répertoire quelques chansons apprises dans les rangs de l’armée des colonies françaises d’Afrique de l’époque. Alioune Dieng n’a pas hésité à tenter d’en reprendre deux (voir les vidéos par ailleurs), la voix quasi-cassée, même après avoir ingurgité une bonne tasse de thé vert de Chine, bien chaud, que venait de lui servir sa fille, Ndèye Ly.
« Merci beaucoup », lance-t-il à l’endroit de sa fille, qui franchissait déjà le seuil de la porte de la chambre, dans le sens de la sortie. Après cette petite interruption, le vieux, dans un calme sans égal, pouvait poursuivre. « J’ai ensuite demandé à prendre des congés pour retourner au Sénégal, après 4 ans d’absence. Après cette trêve, je retournais à Toulouse pour un autre déplacement. Cette fois, il fallait rallier l’Algérie. C’était en 1955, si mes souvenirs sont encore bons. De Marseille, nous sommes arrivés à Alger, puis avons regagné Constantine. J’étais au sein de la Compagnie Saint-Charles. C’était terrible ce qui se passait en Algérie. La guerre est une atrocité. C’est l’une des choses que des dirigeants doivent éviter », conseille cet ancien soldat, qui interpelle directement les dirigeants et peuples du Maroc et d’Algérie. « Quand je vois qu’on parle d’une possible guerre entre le Maroc et l’Algérie, je me dis que ceux qui osent en parler aujourd’hui ne savent pas ce que c’est que la guerre ».
« Ce que j’ai personnellement vu en Algérie, m’a découragé de poursuivre ma carrière dans l’armée. J’ai alors refusé de me réengager et j’ai donc démissionné pour rentrer au Sénégal. Une fois de retour, j’ai regagné la Poste pour, par la suite, être affecté à Bamako, au Mali. Après l’éclatement du Mali, j’ai été renvoyé au Sénégal et affecté à Tambacounda où j’ai travaillé de 1960 à 1965. Je suis resté à la Poste, jusqu’à la retraite, en 1982 », raconte-t-il. Alioune Dieng ou Pa Aly Dieng, comme l’appellent affectueusement les proches, aura aussi combattu au Maroc, pays qu’il confie avoir rallié à partir de l’Algérie, par train. Il faisait, dit-il, partie du Peloton 2 de la Commanderie française au Royaume. De la guerre, Alioune Dieng n’aime pas trop en parler. Au cours de son récit, les rares fois où il s’est complètement absenté, plongé dans des souvenirs qu’il n’a pas voulu raconter, c’est lorsqu’il s’est agi du théâtre des opérations. Des souvenirs certainement douloureux pour ne pas dire horribles qui continuent de hanter ses nuits. Aujourd’hui, il vit paisiblement dans le quartier Dixième, à Thiès (70 km de Dakar). Et son statut d’ancien combattant, lui a valu les honneurs attribués par l’Armée française qui lui verse, à ce jour, une pension de retraite.