La deuxième édition du festival Afric Collection s’est terminée dimanche à Douala. Ce festival de mode, l’un des seuls d’envergure au Cameroun, est soutenu par le couturier nigérien Alphadi, qui a fait la clôture du grand défilé samedi soir. Le créateur nous explique les fondements de son militantisme et remet les pendules à l’heure quant à l’image et au poids de la mode en Afrique.
De Douala
« La mode est une industrie culturelle puissante et ceux qui pensent le contraire n’ont rien compris ». Le créateur nigérien Alphadi est un guerrier de la mode. Tête d’affiche de la deuxième édition du festival Afric Collection (6 au 11 février, Douala, Cameroun), il a épaulé à titre gracieux les organisateurs pour faire de cet événement une réussite. Président de la Fédération africaine des créateurs de mode et initiateur du Festival international de la mode africaine (Fima), il revient sur son soutien à Afric Collection et martèle toute l’importance de la mode comme facteur de développement.
Afrik.com : Vous êtes un créateur très sollicité en Afrique et ailleurs. Pourquoi avez-vous décidé de soutenir ce festival en particulier ?
Alphadi : J’ai répondu présent à Afric Collection parce que j’étais déjà présent à la première édition et que j’en suis le parrain. Malgré mes occupations et bien que je viens d’avoir un bébé, j’ai tenu à être présent pour les encourager. Parce qu’ils mettent l’Afrique en avant. Et parce que je crois que le sérieux est là et qu’il y a une vraie continuité dans le travail. Beaucoup d’initiatives ne dépassent pas le stade de la première édition. Nombre d’entre elles sont morcelées, dans les différents pays. Même trois salons dans l’année c’est trop pour un même pays. Et quand les forces sont morcelées, les valeurs le sont aussi. Et les jalousies sont là.
Afrik.com : De nombreux autres stylistes du continent ont également répondu présent…
Alphadi : Ça n’a pas été aussi facile. L’équipe d’Afric Collection n’est pas dans la couture, ils en sont simplement les promoteurs. Beaucoup de créateurs avaient initialement refusé de venir parce qu’ils voulaient un cachet pour cela. Ce qui peut être compréhensible parce qu’ils sont mobilisés pendant une semaine et qu’ils ne sont pas sûrs de vendre. Or, quand c’est un couturier qui organise son événement, les autres viennent gratuitement. J’ai donc personnellement parlé à quelques-uns d’entre eux pour les convaincre de venir. Je leur ai expliqué qu’ils pourraient en profiter pour faire des rencontres avec des acheteurs ou avec la presse.
Afrik.com : Qu’avez-vous pensé du concours de Jeunes stylistes ?
Alphadi : Le concours de Jeunes stylistes de jeudi était extraordinaire. Les dix candidats méritaient vraiment d’être là. Ils ont fait un travail considérable. Tant au niveau des matières africaines qu’au niveau de l’inspiration.
Afrik.com : Le lauréat, Martial Tapolo, a confié qu’il espérait que son prix l’aiderait à trouver un stage chez un grand couturier. Pensez-vous que ce type de formation soit important ?
Alphadi : Je crois qu’il est très important que les jeunes créateurs fassent des stages chez de grands créateurs de mode africains. Il faudrait qu’Afric Collection demande aux stylistes africains d’accueillir les lauréats en stage chez eux. Je crois malheureusement que beaucoup de jeunes stylistes sont beaucoup plus attirés par l’Europe et l’Amérique que l’Afrique. Ils rêvent d’aller chez Dior, chez Alaïa… Très bien, mais il ne faut pas restreindre ses ambitions à ceux là. Un styliste africain qui a vingt ans d’expérience pourra plus facilement transmettre certains savoirs à un jeune. Et ce jeune apprendra beaucoup plus que chez un grand couturier occidental. Car on ne lui montrera rien de plus que ce que font les « petites mains ». Il n’aura pas accès à la création, au travail sur les matières. Il faut donner aux jeunes créateurs l’opportunité d’apprendre pendant deux ou trois mois des techniques du continent. Il y a des créateurs africains qui ont une technique inouïe, au niveau des teintures, de la broderie…
Afrik.com : N’y a-t-il pas un problème de formation sur le continent ?
Alphadi : Malheureusement, l’Afrique n’a pas de grandes écoles de stylisme. Cela réclame des moyens et de bons enseignants dont nous ne disposons pas aujourd’hui. Je devais créer une grande école au Niger, mais le terrain que le chef de l’Etat m’avait octroyé a finalement été donné à un gouverneur. Les trois lauréats du Fima 2005 ont gagné un stage de six mois chez Alaïa à Paris, mais cela a été rendu possible grâce à l’Agence française d’actions artistiques (Afaa). Car il faut pouvoir assumer la charge financière d’un séjour à l’étranger.
Afrik.com : Afric Collection est une initiative entièrement privée. Quel serait le bénéfice pour un Etat de s’investir dans de tels événements ?
Alphadi : Pour exemple, le premier Fima a coûté trois milliards de CFA, financés à 80% par l’Etat qui voulait avoir une visibilité internationale. Huit Présidents africains avaient tout de même fait le déplacement… Organiser un événement d’envergure est une bonne chose pour l’Etat et pour le pays, ce n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre. On peut parfaitement faire de la promotion culturelle par les politiques à travers un festival. Des polémiques sont nées du fait que je veuille gagner de l’argent avec le Fima… Je réponds tout simplement « Pourquoi pas ? ». Le fait est que je n’en ai jamais gagné. Mais je trouverais normal de pouvoir le faire le cas échéant. Un festival, c’est du temps, de l’énergie, un investissement total. Et pourquoi ne devrais-je pas gagner d’argent ? Avec un festival comme le Fima, je gagne aussi beaucoup en notoriété. Au-delà de la dimension économique, il y a une dimension à la fois militante et promotionnelle.
Afrik.com : Les politiques estiment parfois qu’il ne sert à rien de s’investir dans la culture, qu’ils considèrent comme un luxe…
Alphadi : (Il s’énerve) Il ne faut pas dire que la mode est un luxe. Si les ignorants disent que la mode est superficielle, ce sont eux qui sont superficiels. Ce sont eux qui ne comprennent pas la mode et l’industrie de la mode, ni la vraie valeur de la culture. (Il ne décolère pas) Pourquoi la mode devrait être valable pour le continent asiatique, américain ou européen et pas pour l’Afrique ? La mode génère des milliards de dollars. C’est un puissant outil de développement. J’emploie, par exemple, près de 200 personnes à travers le monde, dont 90 au Niger. J’ai des employés à Abidjan, à Dakar, à Cotonou, à Bamako, à Paris, à New York… La mode est une industrie.
Afrik.com : L’image « superficielle » de la mode n’est-elle pas liée à l’exubérance de la haute couture ?
Alphadi : Quand la haute couture se fait en France, c’est du « m’as tu vu ». Certains stylistes font des vêtements importables. Mais la haute couture génère une large couverture presse dans les pays du Nord. Et c’est important. Car c’est leur image qui fait que de grands couturiers font des parfums ou des cosmétiques. C’est quoi la mode ? C’est faire une grande collection pour se faire remarquer et vendre derrière des accessoires et des produits dérivés. Pour ma part, j’ai créé mes parfums, j’ai créé une ligne sportwear, bientôt une ligne de maquillage, j’ai créé mes chaussures et je gagne de l’argent. Il ne faut pas avoir honte de gagner de l’argent quand on a travaillé pour. Et le jour où j’aurais des financiers à mon service, je ferais vingt ou quarante fois plus d’argent. Il faut comprendre qu’un nom, c’est de l’argent. Et qu’un nom ça se construit. La marque Alphadi a une forte valeur. J’ai créé un complexe restaurant boîte de nuit à Niamey et ça marche, parce que ça renvoie à un nom : Alphadi. Donc la mode est bel et bien une industrie qui doit être encouragée, par les gouvernements, par les politiciens et par les financiers.