«Allo, California! Obama a-t-il gagné?»


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Le mardi 4 novembre, les Américains se rendaient aux urnes pour élire leur 44ème Président. C’était une journée très chargée pour moi. En tant que reporter je sillonnais avec un collègue les rues de Oakland en Californie, allant d’un bureau de vote à un autre afin de recueillir les impressions des électeurs. A 15:32, heure locale, alors qu’on s’apprêtait, dans un café du coin, à envoyer des photos sur notre blog, mon téléphone sonne. Un de mes meilleurs amis est en ligne d’Afrique.

Par Koura Bagassi, Californie

Quelque part dans un quartier aux rues non éclairées de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, des amis se sont retrouvés sur des chaises en bambou au beau milieu de la nuit pour célébrer ce qui semblait être à leurs yeux l’un des évènements les plus importants de leur vie.

Alors que la nuit avançait et que les résultats des élections américaines tardaient à venir, ils se sont retrouvés pris dans une certaine anxiété qui a fini par éclipser leur fête. Et la seule solution pour avoir l’esprit tranquille c’était de me téléphoner, constamment jusqu’à la proclamation totale des résultats. Il était alors 4:00 du matin à Ouagadougou, une heure un peu trop tardive pour une belle fête.

Mon ami Lassina Traoré, 35 ans, n’a jamais voté dans sa vie. Il ne croit pas à la transparence des élections dans notre pays, dit-il. Mais pour ces élections américaines, il a réuni une vingtaine d’amis, des cadres de banques comme lui et des fonctionnaires sur la terrasse de sa maison de trois chambres à Ouagadougou. Dès 22:00 heures, heure locale (14:00 heures en Californie), ils étaient tous là pour suivre les résultats des élections américaines diffusés en direct par des chaines de télévisions françaises.

Le jour d’avant, il m’avait parlé de cette fête. Le thé, la bière, le whisky, la musique, la danse, le barbecue, tout avait été prévu pour une belle célébration si Barack Obama était élu président. Mais en réalité, alors que la nuit avançait, personne ne semblait croire à cette éventualité.

L’insoutenable attente

Comme Lassina Traoré m’a expliqué, l’atmosphère était tendue. Assis autour de la télévision, chacun faisait son petit commentaire, mais tous étaient inquiets. Vers minuit, heure locale, (16 en Californie) les premiers résultats n’étaient pas encore disponibles. Et les commentaires des télévisions françaises qu’ils regardaient les rendaient de plus en plus nerveux.

A 3:32 (heure locale en Californie), quand mon téléphone sonne alors que j’étais assis donc au café de Oakland, c’était donc Lassina Traoré qui voulait savoir la situation des élections. « Est-ce que tu penses qu’Obama va gagner, » me demande t-il. « Nous, on est assis ici et on est très inquiet, » me dit-il.

En fait, dans les dernières semaines de la campagne, me dit-il, ils avaient appris que les sondages s’étaient resserrés entre John McCain et Barack Obama. Ils avaient aussi entendu parler d’un certain « effet Bradley » qui ferait perdre les Noirs aux Etats Unis lors des élections.

Je lui ai expliqué que les bureaux de vote allaient fermer dans moins de 30 minutes en Virginie.  » Si Obama gagne en Virginie, il sera difficile pour John McCain de gagner l’élection, » lui dis-je pour le rassurer.

Quand je suis retourné sur le campus de Berkeley pour monter mon reportage à l’école pour le site web oaklandnorth.net, mon téléphone a sonné de nouveau.

« Est-ce qu’Obama a gagné la Virginie. » Je reconnais la voix de Lassina Traoré. Je lui explique que même si à cette heure le résultat n’est pas encore donné, Obama est en bonne position de gagner. Généralement Lassina me fait confiance et il semblait rassurer. Mais 5 minutes après il me rappelle. « Donc tu penses qu’Obama va être élu? », demande-t-il. « Il n’y aura pas de surprise? » Une nouvelle fois, je le rassure.

Il utilisait tout ce que je lui disais pour alimenter leurs conversations et rassurer ses amis qui étaient tout autant inquiets que lui. Quelques minutes après, il me rappelle de nouveau: » Ecoute, j’ai un ami ici qui ne croit pas tout ce que tu me dis, je veux que tu lui parles. » Son ami en question n’a pas le temps de se présenter. La seule chose qui l’intéressait, c’était que je lui explique ce qui ce passait.

Les présidentielles américaines plus intéressantes que les élections africaines?

Je savais que les gens en Afrique s’intéressaient beaucoup aux élections américaines. Durant les deux derniers mois, pas un seul jour ne s’est passé sans que je n’aie reçu de coup de fil ou des emails d’amis me demandant l’état de la campagne. Mais j’étais loin d’imaginer le degré d’anxiété qui pouvait les animer. « Donc s’il perd la Virginie Obama est éliminé? » me lance t-il. Non, lui dis-je, ca ne change rien. En fin de compte je me suis rendu compte que je n’avais pas assez d’argument pour le satisfaire.

Le soir à 20:00 ( 04:00 GMT), je devais me rendre à la International House (un centre d’accueil pour étudiants étrangers) pour couvrir l’élection pour notre blog. Lorsque j’arrive là-bas, je n’arrive pas à me concentrer. Mes amis continuent de m’appeler. A un moment donné j’ai même pensé à bloquer mon téléphone pour pouvoir effectuer mon travail. Mais je ne pouvais pas laisser mes amis tomber sachant dans quel état d’esprit ils se trouvaient.

N’ayant jamais eu aucun intérêt réel dans la politique de notre pays, ils semblaient avoir trouvé dans ces élections lointaines un évènement unique qui les rendait, pour une fois, fiers de la politique.

Lorsque Lassina Traoré m’a appelé pour la dernière fois, autour de 20:00 PT (4:00 GMT), il m’a demandé pourquoi on dit qu’Obama a gagné la Californie alors qu’on n’a pas encore compté les voix. « La Californie est un Etat ou les gens votent généralement pour les démocrates, c’est pourquoi on dit qu’Obama a gagné. On comptera les voix plus tard, » lui expliquai-je rapidement. J’ai senti enfin qu’il était content. « Chacun est content ici, » dit-il. « C’est maintenant qu’on va commencer notre fête! »

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