Pour cette avant-dernière du Villette Jazz Festival de Paris, les organisateurs avaient choisi pour le grand concert du début de soirée, les deux figures historiques de la musique malienne : Ali Farka Touré et Salif Keita. Au même moment, Mama Sissoko, également natif du Mali, revisitait les rythmes traditionnels à la Chapelle des Lombards.
Le public avait atteint son point de surchauffe. Déjà parti, Ali Farka Touré, si vite ? Ali Farka, le grand sage sexagénaire, plongeant dans les racines profondes de ses terres maliennes pour mieux les transfigurer. Ali Farka le maître de musique, galvanisant son public – une marée humaine ! – de sa simple guitare, de quelque calebasse, de congas et d’un djembé ici ou là. Les premières minutes s’écoulent, et déjà, l’on reste suspendu à ce blues profond, métallique et chaud, lancinant ou vif, à peine chanté, reconnaissable entre tous.
Qui peut en faire autant ? Ali Farka Touré au Festival de jazz de la Villette : c’était du grand art. Pas de décalage entre les sons d’ici et ceux de là-bas, juste un foisonnement de rythmes qui nous transportent d’emblée vers la terra incognita de nos sensations : sons mandingues, parfois mêmes arabisants qui caressent subtilement le blues américain le plus brut.
De sucre et de miel
Ali Farka Touré l’avait lui-même annoncé, énigmatique : » Vous êtes gâtés ce soir. Vous avez le sucre ajouté au miel. « Parce qu’ils sont tous deux Maliens, le Festival les a programmés sur la même scène, le même soir. Mais était-ce suffisant pour en faire le binôme d’une nuit ? En somme, ce devait être un grand concert de ce » blues-venu-d’Afrique « . Mais qui est le sucre, qui est le miel ?
Après une première partie de pur bonheur avec Ali Farka Touré, la comparaison risquait d’être rude. Voire cruelle. Le public, donc, réclamait son dû. Avec Salif Keita, la magie s’est envolée. L’Afrique est déjà loin, et nous aussi. Un orchestre policé, deux choristes danseuses peu enthousiastes, et la » voix d’or » de Salif par trop recouverte des ondulations de la guitare électrique. La déception est grande face à cette musique de grande qualité, certes, mais que l’on croirait formatée pour les bandes FM. L’intensité n’est plus là.
Enfin, pour les aficionados de jazz et de sons africains qui n’auraient pu assister à cette soirée phare à la Villette, il est encore temps pour eux de se consoler avec l’excellent Mama Sissoko, dans le cadre feutré de la Chapelle des Lombards. Cet autre Malien s’y produit tous les jeudis de juillet, entouré d’une seconde guitare et d’un djembé. Sa voix envoûtante et fine rend hommage aux rythmes mandingues, peuls, ou bambaras. Après avoir accompagné différents orchestres à Bamako puis à Paris, il s’est lancé dans une carrière solo, il y a une dizaine d’années.
A écouter :
1999 – Night & day
Salif Keita – Papa, 1999 – Blue Note / EMI
Mama Sissoko – Tous les jeudis de juillet à 20h30 à La Chapelle des Lombards, 19 rue de Lappe – 75011 Paris . Place : 80 F.