Le journaliste marocain Ali Lmrabet a été gracié par le roi Mohammed VI, ce mercredi, en compagnie de six autres journalistes. Rédacteur en chef des hebdomadaires Demain Magazine et de Doumane, aujourd’hui interdits, et correspondant de Reporters sans frontières, il avait été condamné le 21 mai 2003 à quatre, puis trois ans de prison ferme pour « outrage à la personne du roi », « atteinte à l’intégrité territoriale » et « atteinte au régime monarchique ».
Libre. Le journaliste marocain Ali Lmrabet a retrouvé sa liberté, mercredi, à la faveur d’une grâce du roi Mohammed VI. Six autres journalistes, dont un était également emprisonné, sont concernés par cette mesure. Au total, le roi a gracié trente-trois condamnés, « pour des raisons humanitaires », au moment où il installait la commission « Equité et Réconciliation », qui doit faire la lumière sur les « années de plomb » de feu son père Hassan II. Ali Lmrabet, rédacteur en chef des hebdomadaires satiriques Demain Magazine et de Doumane – aujourd’hui interdits – et correspondant de Reporters sans frontières (RSF), avait été condamné le 21 mai dernier à quatre ans de prison ferme, ramenés le 17 juin à trois ans, pour « outrage à la personne du roi », « atteinte à l’intégrité territoriale » et « atteinte au régime monarchique ». Il était alors en grève de la faim, seul moyen pour lui de contester le procès qui lui était intenté. Un mode de protestation qu’il cessera début juillet, mais qu’il devra reprendre le 30 novembre après le durcissement de ses conditions de détention. Il était parvenu à faire passer des articles aux quotidiens Le Monde (France) et El Païs (Espagne). Il revient avec Afrik sur son emprisonnement et sa libération surprise.
Afrik : Vous attendiez-vous à cette libération, compte tenu du durcissement de vos conditions de détention ces derniers mois ?
Ali Lmrabet : Non, pas du tout… J’étais en train d’écrire un article pour le Washington Post (quotidien américain, ndlr), je cherchais un stratagème pour le faire passer, quand un geôlier est venu me dire que j’allais sortir dans deux ou trois heures. Il l’avait entendu à la radio.
Afrik : Avez-vous une idée de ce qui a provoqué cette libération ?
Ali Lmrabet : Quelqu’un dans l’antre du pouvoir a dû être plus intelligent que les autres. Quelqu’un a dû se rendre compte que ces grossièretés devaient cesser, que cela avait assez duré.
Afrik : Selon vous, les autorités marocaines ont-elles été sensibles aux pressions extérieures ?
Ali Lmrabet : Oui. Bien sûr. Même si notre ministre de la Justice, qui serait plutôt celui de l’Injustice, a déclaré que les pressions internationales n’étaient pour rien dans notre libération.
Afrik : Percevez-vous une quelconque cohérence dans le processus qui vous a conduit en prison et qui vous voit aujourd’hui libre ?
Ali Lmrabet : Il y a deux classes au Maroc. Celle des sécuritaires, des ivrognes, des voyous qui ne respectent pas la loi, et la notre, respectueuse des règles, qui souhaite la démocratie. Chacune de ces classes essaie d’influencer le roi. Les sécuritaires ont ainsi voulu faire croire que mon affaire était une affaire entre la famille Lmrabet et le roi. Ils savaient qu’en la présentant ainsi, je n’avais aucune chance de m’en tirer.
Afrik : Qu’attendez-vous du roi et du gouvernement ?
Ali Lmrabet : Le gouvernement n’a pas de pouvoir dans ce pays. Je respecte le Premier ministre, pour ce qu’il fait, mais c’est tout… Nous sommes sous un régime monarchique absolu. Nous sommes pratiquement au temps de Louis XVI. Il y a une pyramide, avec à son sommet un roi.
Afrik : Certaines décisions de justice prises depuis l’avènement de Mohammed VI laissent penser que la situation, sur ce point, n’a pas beaucoup évolué…
Ali Lmrabet : En 1996, sous l’instruction d’Hassan II, on a envoyé une circulaire à tous les procureurs du Maroc leur interdisant d’intenter des procès pour atteinte à la personne du roi. Elle a depuis été abrogée.
Afrik : Les journalistes qui ont été libérés avec vous avaient été emprisonnés sous le coup de la loi anti-terroriste votée après les attentats de Casablanca. Pensez-vous que les choses vont changer après vos libérations ?
Ali Lmrabet : Ça,, on va le savoir dans quelques semaines. Je vais faire une demande au tribunal pour créer un nouveau journal. Nous allons vite savoir s’ils me laisseront le faire.
Afrik : Les partis politiques n’ont pas réagi durant votre procès et aucun n’était présent à votre sortie. Etes-vous satisfait qu’ils ne cherchent pas à récupérer votre combat ou cela vous désole-t-il ?
Ali Lmrabet : Ils n’ont rien à récupérer. Ils sont à côté de la plaque. Cela ne me fait ni chaud ni froid qu’ils n’aient jamais été présents. Ils n’étaient même pas au courant de ce qui se passait lors de mon procès.
Afrik : De la même façon, seuls quelques journaux indépendants vous ont soutenu…
Ali Lmrabet : Ça, on le savait, ce n’était pas une surprise. Mais les journaux les plus importants, Le Journal et As-Sahifa, eux, nous ont soutenus. C’est cela qui compte.
Afrik : Publieriez-vous les dessins et réécririez-vous les propos qui vous ont valu votre condamnation, aujourd’hui ?
Ali Lmrabet : Oui. Je le referais car je considère que je ne suis pas un assassin. Je n’ai rien fait de répréhensible.
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