« Partez s’il vous plaît, partez… Vous ne pouvez rien voir… » L’officier de la gendarmerie est à deux doigts de perdre son sang-froid devant l’insistance des journalistes et des reporters photographes. Après l’attentat meurtrier de mercredi, le reportage de l’envoyé spécial d’El Watan à Lakhdaria (Bouira).
Le visage rouge de fatigue sous un soleil de plomb, il tente de repousser les journalistes voulant s’approcher de ce campement militaire théâtre d’un attentat kamikaze qui a fait hier au moins dix morts et une quarantaine de blessés, situé juste à une portée de fusil de là. Il est 14h. La route qui mène vers la sortie est de la ville de Lakhdaria (Palestro) est coupée à la circulation juste à la sortie de la ville. Un barrage des forces combinées de la gendarmerie et de la CNS prie gentiment les automobilistes de rebrousser chemin. Seul les engins de l’armée, les ambulances et les véhicules de presse sont autorisés à passer. Mais pas pour longtemps, pour ces derniers. Une fois arrivé au carrefour situé juste avant l’usine de détergents, une filiale de la SNIC, et une sablière, deux véhicules 307 de la gendarmerie sont stationnés au milieu de la route indiquant la ligne rouge à ne pas franchir. « Nous avons reçu instruction de ne permettre à personne d’avancer ! » Les gendarmes ont visiblement du mal à traiter avec les reporters dont certains d’entre eux font le pied de grue depuis 9h du matin dans l’espoir de griller un cliché sur le lieu de l’attentat. Peine perdue puisque les hommes en vert veillent au grain. La meute de reporters dut se satisfaire de quelques témoignages. Pas un mot, y compris le bilan de l’attentat.
« Allez à la cellule de communication du ministère de la Défense ou celle de la première Région militaire, là-bas vous aurez l’information exacte. » C’est comme cela que nous répond le sympathique officier de la gendarmerie, obligé d’exécuter les instructions de sa hiérarchie. « A voir le nombre d’ambulances qui venaient à toute allure de là-bas (du campement militaire), je dirais qu’il y a eu plus de 20 morts. C’était vraiment terrifiant, il y avait même un hélicoptère qui tournoyait autour de la caserne. » Ahmed, qui tient un café à l’intérieur de la station d’essence située non loin du lieu du crime, est encore sous le choc. Il était là à 7h quand la terrible explosion arracha tout Lakhdaria de son sommeil. Commencera alors le carrousel des ambulances qui allaient et venaient en toute vitesse entre le campement et l’hôpital de la ville sur fond de sirènes stridentes. Alors que les militaires, des appelés pour la majorité, se rassemblaient, comme chaque matin, pour la levée des couleurs dans la cour. Un camion frigorifique de marque Hyundai s’approche du portail. La gardien était loin de se douter de quelque chose tant un camion, quasiment le même, arrivait tous les jours et à la même heure pour y livrer les produits laitiers aux militaires. Une fois le portail ouvert, le kamikaze fonce tout droit vers la cours et fait sauter le véhicule en plein rassemblement des jeunes militaires, surpris par l’épouvantable explosion au moment où ils saluaient le drapeau. Ce moment de grande solennité se transformera mine de rien en un indescriptible cauchemar, racontent des indiscrétions. Le kamikaze, lui-même carbonisé dans son camion complètement détruit, tuera au moins dix miliaires et en blessera grièvement près d’une quarantaine. Cette version des faits est recoupée par plusieurs sources. Terrible sort que celui de sept parmi les dix militaires tués qui devaient être démobilisés vendredi prochain après la fin de leur service national…
Le 11, une date maudite
Ils rejoindront malheureusement leurs familles dans des cercueils… Les habitants de cette région boisée et connue pour l’intense activité des groupes armés des maquis qui l’entourent racontent que c’est la première fois que le campement militaire est attaqué, depuis son implantation en 1997 dans le cadre de la lutte antiterroriste. « Zbarbora », ce lieu qui rappelle le sinistre Zbarbar, sort ainsi de l’anonymat pour s’ajouter à la longue liste des hameaux marqués au fer rouge par les terroristes. Cet énième attentat terroriste confirme le recours de plus en plus à ce nouveau mode opératoire que son les opérations kamikazes. Ironie du sort, ce forfait est commis une fois de plus un 11 du mois, après les attentats du 11 avril dernier qui avaient ciblé le palais du gouvernement et le commissariat de Bab Ezzouar. Il est difficile de ne pas y voir une préparation minutieuse d’une telle attaque. L’usage du même camion que celui qui livrait du lait et du yaourt aux militaires prouve en tout cas que l’opération est loin d’être un coup de folie d’un illuminé de passage à Palestro. Aussi, ce massacre intervient le jour même de l’ouverture des 9e jeux africains censés projeter l’Algérie sous les feux de la rampe. Il survient également une semaine seulement après le fameux appel du président Abdelaziz Bouteflika à intensifier la lutte contre le terrorisme prononcé au siège du ministère de la Défense nationale à l’occasion de la célébration du 45e anniversaire de l’Indépendance. « Nous devons poursuivre sans relâche la lutte contre les entreprises criminelles et terroristes de ceux qui refusent l’appel magnanime de la nation… » Les observateurs de la scène sécuritaire n’hésitent pas à parler de « réponse » des groupes armés à la nouvelle détermination présidentielle.
Hassan Moali, pour El Watan