De nombreuses familles algériennes ont perdu un membre de leur famille, victime de disparition forcée entre 1993 et 2002. Presque tous les mercredis depuis 1998, ces familles se réunissent à Alger pour réclamer la vérité. Mais depuis le début du mois d’août, ces rassemblements pacifiques leurs sont interdits. Pour continuer la lutte, le collectif des familles des disparus en Algérie s’est réuni mercredi à Paris, près de l’ambassade d’Algérie.
« Nous recevons des coups dans la rue, nous sommes brutalisés, mais nous ne nous arrêterons pas ». Depuis 1998, les familles de victimes de disparitions forcées en Algérie se réunissent presque tous les mercredis pour réclamer la vérité sur le sort de leurs proches. Le 11 août, les forces de l’ordre ont empêché cette contestation pacifique. « Certaines femmes ont été molestées. Quatre personnes, dont une âgée, ont même été détenues», selon la présidente d’Amnesty International France, Geneviève Garrigos, présente à la manifestation de soutien de mercredi, en France. SOS Disparus n’a toujours pas d’existence légale en Algérie. En France, ses revendications sont relayées par le collectif des familles de disparus en Algérie (CFDA). Le CFDA estime que l’Etat tente de faire pression sur les familles pour qu’elles acceptent des indemnités.
Mais elles ne céderont pas. On leur interdit la rue algérienne, elles investissent les trottoirs parisiens. Ils étaient quelques dizaines mercredi près de l’ambassade d’Algérie: des proches de disparus, mais aussi des organisations de défense des droits de l’homme. Pour que l’on n’oublie pas leur fils ou leur époux disparus, probablement torturés jusqu’à la mort, les familles ont clamé des slogans tels que « Vérité » ou « Où sont-ils ? ». Si les femmes algériennes qui se réunissent depuis des années à Alger n’étaient pas là physiquement, elles ont envoyé un mail qui a été lu par leurs soutiens en France. Elles y confirment leur détermination. « Nous allons continuer à faire vivre leur mémoire ». Comme depuis 12 ans maintenant, elles ont réclamé « vérité et justice pour les nôtres ».
En quête de la vérité
Les familles de disparus demandent en effet tout simplement à savoir ce qu’il est advenu de leur proche enlevé. Et s’il est mort, savoir où il est enterré. « S’ils sont morts, nous voulons pouvoir pleurer sur leur tombe », réclame Nacéra Dutour, la présidente du collectif des familles des disparus en Algérie, dont le fils a été enlevé le 30 janvier 1997. La voix éraillée, elle a affirmé : « ils ne les tueront pas deux fois ». Par cette formule, elle signifiait qu’elle continuerait à refuser les indemnités proposées par l’Etat, qui s’accompagnent d’un certificat de décès du disparu.
Accepter l’indemnité ce serait « tuer mon fils de mes propres mains », estime Nacéra Dutour. Selon elle, les familles qui ont accepté l’indemnité y ont été contraintes par « le drame de la misère. D’autres y ont été poussées pour des raisons administratives. Ainsi, je connais une jeune femme qui ne pouvait pas avoir de carte d’identité tant que l’on ne savait pas où était son père. Pour que sa fille puisse aller à l’université, l’épouse est allée chercher le certificat de décès de son mari disparu. »
L’Etat algérien reconnait 8024 cas de disparitions, mais considère que le dossier est clos. L’Etat se dit « responsable mais pas coupable », selon la formule de Farouk Ksentini, le président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH). Pour Alger, qui ne souhaite pas ouvrir d’enquête, ces disparitions sont le fait d’ « agents isolés ». La Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2006 « a donné l’impunité aux agents de l’Etat », explique Geneviève Garrigos. Ce texte prévoit également « 3 à 5 ans de prison pour ceux qui ternissent l’image du pays. On cherche à faire taire les familles de disparus, qui risquent la prison », estime-t-elle.
« On va la ramener dans deux heures »
Les disparus ont généralement été enlevés à leur domicile, en présence de leur famille qui se dit aujourd’hui, dans un quart des cas, capable d’identifier les ravisseurs. Benaziza Abdelkader, Algérien de Constantine actuellement en vacances en France, participait au rassemblement de mercredi. Sa mère a été enlevée à 69 ans le 2 juin 1996. « Les agents de sécurité sont venus vers 22 heures, à la recherche de l’un de mes frères. En son absence, ils ont demandé à ma mère de les suivre. Ils lui ont fait enlever ses bijoux, ils ne l’ont pas laissé prendre ses médicaments. Ils ont dit : « on va la ramener dans deux heures », mais elle n’est jamais revenue ».
La majorité de ces disparitions ont eu lieu entre 1994 et 1996, mais s’échelonnent de 1993 à 2002. Ces enlèvements de personnes présentées comme islamistes ont été l’un des instruments principaux de la « sale guerre » déclenchée en janvier 1992 par les généraux algériens contre leurs opposants et la population civile. Après leur coup d’État du 11 janvier 1992, annulant la victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) aux élections législatives, les chefs de l’armée et des services de renseignement, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) mettent progressivement en place un redoutable dispositif répressif pour écraser toute opposition, parfois qualifié de « terrorisme d’Etat ».
Dans certains cas, les familles ayant connaissance des disparitions forcées suivaient les forces de l’ordre. « Pendant une ou deux semaines, elles apportaient de la nourriture à leur mari ou enfant. Puis, un jour, on leur répondait : « on ne le connait pas, on ne l’a jamais vu « . Il y a de quoi devenir fou », estime Paulette Thornander, membre de la Ligue des Droits de l’homme, présente mercredi. Aujourd’hui, les familles de disparus reprochent à l’Etat de vouloir « tourner la page sans l’écrire, selon les termes de Nacéra Dutour. Nous ne sommes pas contre la paix, mais nous voulons savoir ce qu’il s’est passé ».