Le Maroc et l’Algérie entretiennent des relations en dents de scie, notamment à cause de leur différend sur la question du Sahara occidental. Mais depuis quelques mois, des signes de détente sont apparus. Parmi eux : les deux rencontres privées entre Mohammed VI et Abdelaziz Bouteflika en mars et la suppression des visas, annoncée en 2004 par Rabat et en avril dernier par Alger.
Rabat et Alger semblent plus que jamais prêts à écrire ensemble une « nouvelle page » dans leurs relations diplomatiques mouvementées. Le tournant positif a été pris en mars dernier, lors du Sommet de la Ligue arabe organisé à Alger (22-23 mars). En effet, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika et son homologue marocain Mohammed VI se sont rencontrés à deux reprises en marge du sommet. C’est la première fois que le souverain marocain se rendait en terre algérienne depuis son accession au pouvoir en 1999, ce qui était en soi un événement diplomatique majeur. Les deux rencontres ont aussi été les premiers tête-à-tête « sérieux » entre les deux chefs d’Etat. Bien qu’aucune information précise n’ait filtré sur les entretiens, le ministère algérien des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem, avait qualifiée la première entrevue de « très cordiale et fructueuse ».
Celle-ci avait également été abondamment commentée dans les presses nationales. « Synonyme d’un coup d’accélérateur au processus de création du grand Maghreb, la rencontre entre les deux chefs d’Etat ne manquera pas d’être accueillie favorablement par les pays occidentaux, pour qui la stabilité de la région est essentielle. Elle répondra aussi et surtout à la volonté des peuples, la redynamisation des relations entre le Maroc et l’Algérie étant le seul gage d’un avenir meilleur pour tous », écrivait alors le quotidien marocain Le Matin.
Relance de l’Union du Maghreb Arabe
En effet, ces rencontres ont eu comme première conséquence de retenir le principe de l’organisation d’un sommet de l’Union du Maghreb Arabe (Uma) en juin prochain en Libye. Ce qui permettrait de relancer la construction maghrébine, en berne depuis 1994. L’Uma, qui rassemble l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie, était boudée depuis 1994 par Rabat qui accuse Alger de soutenir le Front Polisario (mouvement pour l’indépendance du Sahara Occidental, revendiqué comme territoire national par le Maroc). La question du Sahara occidental empoisonne depuis de nombreuses années les relations diplomatiques algéro-marocaines.
L’Algérie estime qu’il s’agit d’une question de « décolonisation » devant être réglée dans le cadre des Nations Unis. Elle appuie notamment la mise en œuvre du Plan Baker pour l’autodétermination du peuple sahraoui, adopté par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et elle soutient par conséquent que ses relations avec le Maroc et la relance de l’Union du Maghreb Arabe ne sont pas tributaires du règlement de la question du Sahara occidental. « En observant l’histoire des relations algéro-marocaines durant ces quarante dernières années, on s’aperçoit que les blessures d’amour-propre sont aussi importantes que les conflits d’intérêt dans l’exacerbation de la tension », explique le journaliste marocain Riad Mounir. Qui évoque les « bombes à retardement semées par les deux puissances coloniales, la France et l’Espagne », « destinées à produire leurs effets : faire en sorte que les pays vivent dans un état de tension permanent ».
Fermeture de la frontière
Pour un autre journaliste marocain, « l’histoire du couple Maroc-Algérie est faite d’incompatibilités d’humeur, de fiertés réciproques, de ruptures douloureuses, de mains tendues et de malentendus ». Par exemple, la frontière terrestre entre les deux pays est fermée depuis 1994. En août de cette année, un attentat a lieu à l’hôtel Asni de Marrakech, faisant plusieurs morts parmi des touristes espagnols. Les autorités marocaines accusent les services secrets algériens d’être à l’origine de l’explosion. Elles décident alors de reconduire à la frontière les Algériens de passage au Maroc puis imposent un visa pour les ressortissants algériens. En réponse, Alger boucle brutalement sa frontière et applique la réciprocité en matière de visa.
En juillet 2004, le Royaume chérifien décide de supprimer le visa, pour « le rapprochement entre les deux peuples ». La réciproque algérienne est annoncée le 2 avril dernier et n’a pas été suivie pour le moment par une réouverture de la frontière terrestre qui « demandera de nombreux mois », a déclaré le Président Bouteflika le 5 avril dernier. Pour autant, l’éventualité de cette réouverture est sur toutes les lèvres. Et dans cette affaire, il est fort probable que l’économique prime sur le politique.
Le poids de l’économie
Les opérateurs économiques des deux pays viennent de lancer un message fort en direction de leurs gouvernements, en créant le 24 avril dernier la Chambre de commerce mixte algéro-marocaine. L’acte constitutif de cette chambre a été signé par la Fédération marocaine des chambres de commerce, d’industrie et des services et par la Fédération de la chambre algérienne de commerce et d’industrie, en marge du deuxième Forum des hommes d’affaires algéro-marocains (organisé à Alger après celui de Casablanca en février). Les hommes d’affaires souhaitent hâter le développement des échanges et des investissements entre leurs deux pays et tenter d’enrayer le poids de l’informel qui plombe leurs économies à la frontière.
En 2004, l’Algérie a exporté vers le Maroc l’équivalent de 200 millions de dollars (70% d’hydrocarbures) et a importé pour 187 millions. Ce qui est infime en regard du secteur informel. La frontière, poreuse, est le lieu d’une contrebande des plus diversifiée : carburants en provenance d’Algérie, mais aussi produits alimentaires (farine, pain, produits laitiers, boissons…), pièces automobiles ou encore médicaments. La chambre de commerce d’Oujda (Maroc) estime le montant de ce trafic à 550 millions d’euros par an. L’Est marocain dépendait largement des échanges avec l’Algérie jusqu’en 1994. Le volume des échanges étaient alors estimé entre 1,5 et 2,5 milliards de dollars par an. Plus de 60% des ressources financières d’Oujda provenaient de ces échanges avec l’Algérie.