Un kidnapping sur dix en Algérie a lieu en Kabylie. Un enlèvement sur trois commis à Tizi Ouzou a pour théâtre la localité de Maâtkas. Cette commune déshéritée du sud de la wilaya comptabilise à elle seule 8 affaires sur les 24 cas de rapt enregistrés ces deux dernières années dans la région. Un sinistre tableau de chasse des « seriet Maâtkas », selon les services de sécurité, ou « seriet Ennour », selon le maquis. Virée dans une commune pauvre devenue le tiroir-caisse du GSPC.
Sur le CW147, le dernier barrage des services de sécurité se trouve à la sortie sud de la ville de Tizi Ouzou, à Anar Amellal. Plus loin, c’est un territoire incertain, une route serpentant des collines où les derniers incendies (ou ratissages) ont fait apparaître les chemins tracés par les groupes terroristes. Aucune présence sécuritaire sur les 20 km de route menant au chef-lieu de Maâtkas, et même au-delà. C’est sur ce chemin qu’un homme de 58 ans, entrepreneur, a été enlevé le 2 mars dernier. C’est le 8e otage de la localité. Il a été intercepté sur la route à 16h, avant la fin de la journée des fonctionnaires et la sortie des classes. Arrogance et impunité de la « seria » du kidnapping qui ne travaille plus au-delà des heures ouvrables. Le groupe avait déboulé de la colline et a disparu dans l’oued. Le 7e otage venait d’être relâché, une semaine plus tôt, après 12 jours de captivité.
Le record d’un séjour en casemate a été de 32 jours pour un entrepreneur qui a pu rejoindre sa famille après de pénibles tractations avec les ravisseurs. La plus brève visite forcée du maquis terroriste a été de 24 heures. Un livreur de pain enlevé en février dernier et relâché au bout d’un jour. Les terroristes l’avaient pris pour le patron de la boulangerie. Ils ont libéré cet ouvrier qui pouvait rester un an au maquis sans rien pouvoir payer. « Pourquoi on nous enlève ? On est les plus pauvres de la wilaya ! », s’étonnent les gens de Maâtkas. La raison est simple. A l’Ouest, le maquis de Boumehni en contact avec Sidi Ali Bounab. Au Sud, le maquis d’El Maj jusqu’à Takhoukht. Au Nord, Amjoudj, vers Ath Zmenzer et Tizi Ouzou. Enserrée de maquis, la localité de Maâtkas est devenue un « havre » terroriste pour le GSPC. Sofiane El Fasila, n°2 présumé d’Al Qaïda au Maghreb, a été abattu en octobre 2007 à 10 km au nord de Maâtkas. Un succès antiterroriste, mais qui n’a pas été fatal pour l’organisation de Droukdel. Un mois plus tard, le 10 novembre 2007, des dizaines de terroristes assiègent la ville à 20h. Des groupes armés se postent devant la sûreté de daïra et la garde communale, neutralisant toute intervention, tandis qu’un terroriste qui devait être le kamikaze pousse à bout de bras vers le celibatorium de la police une voiture piégée qui a calé en cours de chemin. Il était « couvert » par des rafales de ses acolytes à bord d’un fourgon. L’explosion fera d’importants dégâts matériels, sans faire de victimes. Mais l’impact psychologique sur la population est considérable. L’ouverture d’une sûreté en décembre 2006 n’a donc rien changé.
Une ville livrée aux bandits
« Regardez. Nous avons une belle sûreté de daïra. C’est la plus belle d’Algérie », ironisent les citoyens de Maâtkas. C’est pourtant une réalité. Un bel édifice, à trois niveaux, aux couleurs de la police, domine le chef-lieu. La construction était destinée, initialement, à devenir la maison de la poterie de la ville, devant accueillir la fête nationale de cette activité artisanale dont la région est réputée. Créée par des associations de la commune en 1991, la fête de la poterie de Maâtkas a connu un succès tel qu’un ministre en visite dans la région en 1999 l’a proclamée fête nationale, en affectant un projet de construction d’une structure culturelle dédiée à cette activité. Construite à 50%, la maison est reprise en 2003 par la DGSN qui en fera une sûreté de daïra. « Il n’y avait pas de terrain communal disponible », disent les élus locaux, ajoutant : « Les citoyens étaient prêts à accueillir les services de sécurité sur leurs terrains privés, devant l’explosion de la délinquance et du banditisme. » C’était au lendemain des événements de Kabylie et la délocalisation de la brigade de gendarmerie. Les personnes âgées étaient agressées à la sortie du bureau de poste et des cambriolages tournent au meurtre dans l’impunité la plus totale. « La situation était intenable. La ville était livrée aux bandits. Il nous fallait en urgence une structure des services de sécurité », ajoutent les élus.
La délinquance a reculé au chef-lieu depuis l’arrivée de la police. Mais la lutte antiterroriste est une autre histoire… La commune est concernée par le redéploiement de la Gendarmerie nationale, apprend-on. Un terrain aurait été acquis auprès d’un particulier. « Nous manquons de terrains. Nous n’arrivons même pas à implanter une unité de la Protection civile inscrite depuis 2003 », dit-on à l’APC. Ce sont les pompiers des Ouadhias (25 km) ou de Draâ Ben Khedda (20 km) qui interviennent en cas d’incendie. Cette commune de 40 000 habitants ne dispose ni d’une maternité ni d’un service des urgences. Les responsables en charge du secteur de la santé ont vraisemblablement oublié Maâtkas. Un projet de crèche communale a été affecté en 2006 sur le Fonds commun des collectivités locales (FCCL), mais deux consultations lancées par l’APC pour sa réalisation se sont avérées infructueuses, faute de… soumissionnaires. « On ne désespère pas de trouver un entrepreneur pour réaliser le projet », affirment les élus. Même le revêtement d’une piste sur 1 km (PCD 2008) n’a pas trouvé preneur. « Nos entrepreneurs ont gelé leurs activités ou ont émigré vers des localités plus clémentes », avoue-t-on. Les patrons d’entreprises de réalisation ont le profil bas, livrés à la menace terroriste. La ruine est plus probable que l’expansion de leurs entreprises. Acheter un véhicule ou un engin est devenu un enjeu vital et l’on est plus tenté de tout vendre que d’acquérir des équipements trop voyants.
Lutte pour la survie
Une présence de l’Etat symbolique, sur la défensive, des groupes terroristes indélogeables depuis 15 ans, s’emparant d’un paisible citoyen à intervalle régulier, le quotidien des gens de Maâtkas est devenu une lutte pour la survie. Face à des horizons menaçants, la population resserre les rangs. Une solidarité illustrée par un exécutif communal constitué d’élus FLN, RCD et FFS, travaillant sans tiraillements ni dissonances, ce qui est une exception dans la région. « Personne n’est à l’abri », lâchent-ils inquiets. Nous rencontrons en ville un citoyen faisant partie d’une catégorie d’hommes tombés dans l’oubli. « On ne nous donne plus de munitions. Quand on s’adresse aux services de sécurité, on nous dit qu’on s’en sert pour faire le baroud dans les fêtes », regrette-t-il.
En vérité, la raison est politique. La réconciliation nationale est passée par là. Il fallait démobiliser GLD et patriotes pour une paix unilatérale. « Mes 20 dernières cartouches, je les ai récupérées en 2002. Nous n’assurons que notre propre protection », dira notre interlocuteur. Pour lui, « il n’y a plus de lutte antiterroriste ». « Nous étions plus de 200 dans les années 1990. Nous participions aux opérations et les terroristes ne pouvaient pas se déplacer comme à présent. Aujourd’hui, ils sont les premiers clients des commerces d’alimentation générale des villages isolés », ajoute-t-il. Il garde quelques réflexes de sécurité. « Ne prenez pas le CW147, encore moins le 128. Rentrez par le 2 (Ath Zmenzer) », conseille-t-il. Un élu nous invitera. « Revenez en juin, pour la 10e édition de la fête de la poterie », lance-t-il. Dépossédée de sa maison, la fête de la poterie aura lieu au foyer des jeunes, au CEM Ounar et à l’annexe du CFPA. Mais que n’auraient-ils pas sacrifié les Maâtkis pour un peu plus de sécurité…
Djaffar Tamani, du bureau de Tizi Ouzou d’El Watan