Deux années d’emprisonnement n’ont pas fait fléchir l’ancien directeur du journal Le Matin. Mohamed Benchicou en a assuré les journalistes venus le rencontrer, jeudi, dans les locaux du défunt quotidien, à Alger. Physiquement affaibli, il a dénoncé le recul des libertés en Algérie, depuis deux ans, la loi de réconciliation nationale, « un coup de poignard dans le dos des Algériens », tout en revenant sur les perspectives de relance du Matin.
De notre envoyé spécial à Alger,
Mohamed Benchicou n’a rien perdu de sa détermination. Jeudi, un jour après sa sortie de prison, il a reçu pour des « retrouvailles » une trentaine de journalistes dans l’ancienne salle de réunion de son journal, Le Matin, à Alger. En chemisette blanche, s’exprimant lentement, à la même vitesse qu’il se déplace, il a condamné « l’offensive sans précédent, depuis 1962, contre les libertés » en Algérie. « Justice, fisc, police, imprimerie d’Etat et prison », pour l’ancien directeur du Matin, seul les généraux Lacoste et Massu ont déployé autant de moyens contre la liberté de la presse, en 1956, en arrêtant l’équipe d’Alger Républicain et en vendant les biens du journal. Dans une salle devenue étouffante au fur et à mesure que les journalistes arrivaient, il est revenu sur les conditions de son incarcération, les perspectives de relance du Matin, la loi de réconciliation nationale ou encore ses rencontres avec l’ancien numéro deux du Front islamique du Salut (Fis), Ali Belhadj.
Comment se sont passés vos 24 mois d’emprisonnement ?
Mohamed Benchicou : Ce n’est pas par esprit de bravade, mais ils n’ont pas eu d’effet négatif sur moi. Le détenu d’opinion est protégé en prison. Les détenus dits de droit commun mettent en place un mécanisme pour le protéger et cela a été une expérience unique pour moi. Ils apportent ainsi leur part au combat. Ali Lemrabet (journaliste marocain), qui a passé huit mois en prison pour ses écrits, me l’a confirmé.
Avez-vous rencontré Ali Belhadj, comme cela a été écrit ?
Mohamed Benchicou : Je l’ai rencontré quatre ou cinq fois, avec le temps accordé par les gardiens. Nous avons échangé des propos de courtoisie. Il était dans un premier temps malade et placé dans une cellule d’isolement inhumaine et je me suis fait son avocat auprès de la Croix-Rouge, venue me voir. On n’a pas le droit de mettre quelqu’un dans cet état de santé dans ce genre de cellule. Nous avons parlé sans aborder les sujets politiques.
Quelle appréciation portez-vous sur le travail du syndicat national des journalistes (SNJ) ?
Mohamed Benchicou : Ils ont fait plus que certains et beaucoup moins que d’autres. Le problème n’était pas de libérer Mohamed Benchicou. Dans l’Algérie de 2006, on ne peut pas mettre un journaliste en prison. Vous me demandez si le SNJ a assez fait… Le problème est qu’il faut une mobilisation nationale sur laquelle une mobilisation internationale puisse s’appuyer. Sept journalistes ont été incarcérés pour leurs écrits et 23 autres sont en passe de l’être si les actions intentées contre eux vont au bout. Nous sommes en train d’aider les autorités, par notre indifférence, à transformer l’Etat en République bananière. Il faut du bruit à chaque fois qu’un journaliste algérien est mis en prison pour ses écrits et ses opinions.
Quelles sont les perspectives de relance du Matin ?
Mohamed Benchicou : Deux sortes de contraintes se posent : l’une politique, qui ne dit pas son nom, et l’autre financière, abordable, contrairement à ce qui s’est dit ici ou là, et sur laquelle le politique s’est appuyé. Cette contrainte financière n’est pas un problème. La mise en faillite judiciaire du journal n’a pas fonctionné. Durant un an, Le Matin a continué à fonctionner sans compte bancaire. Si l’imprimerie nationale avait pratiqué les mêmes contraintes sur tous les journaux, elle aurait fermé car elle n’aurait plus eu de journaux pour imprimer chez elle. Nous allons attendre un signe des autorités qui annoncerait la fin de la contrainte politique. Si, comme cela se dit ici et là, le pouvoir revient à de meilleurs sentiments en matière de presse, peut-être que cela sera possible.
Comment avez-vous vécu le vote de la loi sur la réconciliation nationale, depuis votre cellule ? Si vous deviez de nouveau diriger un journal, continueriez vous à demander des explications sur le sort des « disparus », ce que la loi interdit ?
Mohamed Benchicou : On ne va pas louvoyer. Cela ne va pas arranger nos affaires, mais si Le Matin doit ressortir, il n’y a pas de marchandage possible. Si on propose qu’il sorte, moins quelque chose, ça ne sera pas possible. Le Matin est le résultat d’une longue histoire, il est lié à Alger Républicain. S’il était paru au moment où elle était discutée, nous aurions pris une position contre la réconciliation nationale, qui, je l’estime, est un coup de couteau contre le peuple algérien. J’ai d’ailleurs fait dire par mes avocats que je refuserai toute amnistie obtenue dans son cadre. Vous me demandez comment j’ai vécu son vote, je peux vous dire comment les détenus l’ont vécu. Comme une grande injustice. Une double injustice. Car beaucoup d’entre eux ont vécu le terrorisme dans leur chair et ne comprennent pas que l’on efface ainsi treize ans de lutte. Et aussi car les dispositions ne s’appliquent qu’aux détenus islamistes. Vous pouvez être à la prison d’El Harrach pour avoir volé 5 000 dinars et finir vos trois ans d’emprisonnement à côté d’un islamiste qui a tué cinq Algériens et qui va être libéré.
Comment réagissez-vous au fait que beaucoup de journaux mettent la finale de la Coupe d’Algérie en Une et non pas votre sortie de prison ?
Mohamed Benchicou : Si Le Matin paraissait, je ne sais pas si je ne mettrais pas la Coupe à la Une. Ce n’est pas une question de Une mais de lutte, chaque jour. Il y a deux sortes de titres en Algérie : ceux qui, pour des raisons qui leurs sont propres, servent de support aux autorités, et ceux, libres, représentés par quelques titres, cinq ou six, au maximum, qui continuent de raisonner par rapport à l’intérêt de la société. A mon avis, ces 24 derniers mois, le pouvoir a perdu la bataille de la liberté de la presse.
Il n’y avait pas beaucoup de patrons de presse à votre sortie. Comprenez-vous pourquoi ?
Mohamed Benchicou : Je crois qu’il en avait deux ou trois à la Place de la Liberté de la presse… Ils étaient peut-être en procès ?! C’était une journée de procès hier. Seul le mardi était un jour de procès autrefois mais on a depuis rajouté le mercredi.
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