Hirak : un mouvement populaire enraciné dans la réalité sociale et politique de l’Algérie profonde


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Hirak_Paris_05.07.20

Les chiffres officiels, viennent d’annoncer cette incontournable vérité. Le peuple algérien a rejeté le projet de révision constitutionnelle par un boycott d’une écrasante majorité (76,6%). Seuls, selon les chiffres officiels, 23,7%, ont emprunté le chemin des bureaux de vote. Les bastions électoraux traditionnels du parti unique (des régions du sud), soumis alors au diktat de certaines féodalités locales, ont boycotté le projet. Des milieux officieux, liés aux barons du régime parlent d’une participation d’à peine 6%. Bref, cette consultation-référendum qui voulait, avec l’élection-désignation du 12 décembre 2019 d’Abdelmadjid Tebboune, vendre une « nouvelle Algérie », absorber le potentiel de mobilisation du Hirak et sauver le système en lui créant une nouvelle base sociale, est un véritable camouflet à tous les concepteurs et architectes du système algérien.

Pour Fatiha Benabbou, constitutionnaliste connue sur la place d’Alger, « repoussé par le peuple, le projet de révision Constitutionnelle doit être abandonné ».

Elle appelle le pouvoir, à travers la personne de son président, « à faire une lecture politique des résultats du référendum, sur le projet de révision de la Constitution » . La question de la légitimité est plus importante que celle de la légalité. Sur le plan légal, il n’y a aucun texte qui fait référence au seuil de participation qui doit être atteint, pour valider le projet. Moyennant quoi, le régime et ses affidés, ont exploité cette faille pour faire un passage en force du projet de révision et proclamer contre toute attente, des résultats surréalistes. Sur un corps électoral composé de 23 583 000 électeurs inscrits, seuls 5 586 259 se sont exprimés sur le projet de révision constitutionnelle, dont 33,80% de non.

Pour tous les observateurs de la scène politique, ce passage en force consacre « le non-respect et les violations systématique des droits politiques et des droits de l’homme ». Ils prévoient une accélération de la crise du système. Le Président évacué en urgence par un avion privé français sur un hôpital à Cologne, puis à Berlin, souffrant d’une maladie chronique et atteint du Covid-19, sort très affaibli politiquement de ce scrutin, lui qui restait marqué par un grand déficit de légitimité. Les décideurs du régime sont dos au mur. Ils ont épuisé toutes possibilités de garder le pouvoir avec un Smig de consensus.

Le forcing, fait pour capter ou réprimer le potentiel de radicalité du Hirak, a fait choux blanc. Le rejet du projet de révision constitutionnelle est une lamentable déconfiture. Le pouvoir n’a plus de ressort pour maintenir son ascendant sur la société. Comme dans les sombres années de plomb, il apporte des solutions sécuritaires à des problèmes politiques de la société. Quand la société algérienne a de la fièvre, il faut casser le thermomètre. Le pouvoir avec les reclassements, les éliminations et les règlements de compte, s’est raidi sur le noyau le plus dur de l’état-major de l’armée et des services de sécurité.

La gestion de la réalité du pouvoir, se suffit de la répression brutale et de la paranoïa de la main étrangère. Comme l’affirme un politologue algérien de renom, « c’est la perte du sens des réalités par le pouvoir, sa perte de toute expertise et ingénierie politique. Y compris dans la répression ». Il explique que le raidissement de ce noyau dur « ne connait plus même les lignes rouges pour sa survie, comme la tentation de mettre fin au multipartisme de façade qui participe à sa régénération ». C’est là, la seule option que les concepteurs thuriféraires du régime algérien ont trouvé face à la fulgurance du Hirak.

Le Président mal élu, n’est qu’un hyper concentré de ce raidissement du noyau résiduel du pouvoir de Bouteflika, sur sa seule option répressive. Tebboune incarne cette dépréciation dans la nature du pouvoir, dit Ali Bensâada qui s’exprime, par exemple, dans toute une gesticulation « qui mobilise les moyens régaliens de l’Etat, contre un simple journaliste quel que soit son talent.

Quelle est désormais la situation politique, au lendemain de ce référendum ?
Il faut reprendre, l’affirmation d’une constitutionnaliste déjà citée : « Il vaut mieux ne pas avoir de loi que d’en avoir une qui divise ». Par le biais du non ou par l’abstention, la Constitution est illégitime. Elle est de fait obsolète, parce que repoussée par le corps électoral, donc le peuple qui a voté avec ses pieds un 22 février 2019. La question de la légitimité est au cœur de la crise politique. Utiliser une Constitution qui n’a pas le consentement du peuple, c’est mettre un cautère sur une jambe de bois. Elle aura pour vocation dangereuse non pas d’instaurer un consensus sur les questions fondamentales, mais de remettre en cause l’unité du peuple.

L’article 209 de la Constitution est clair et énonce que lorsque la Constitution est repoussée par le peuple, elle devient caduque. Les résultats officiels, ont surpris par leur vérité brutale, bien qu’ils soient encore loin de la réalité vraie. Ils n’ont pas cependant livrés tout leur secret. Le système ne nous a pas habitués à une telle transparence. Y aurait-il une arrière-pensée ? C’est évident. Affaiblir un président malade qui risque d’être impotent, pour le pousser vers la porte de sortie ? D’aucuns estiment qu’on est déjà dans l’après Tebboune. La sarabande des consultations des personnalités nationales, par les décideurs aurait commencé. Seraient-ils en quête encore une fois d’un sauveur, au lieu de laisser ce peuple qui a prouvé mille fois sa maturité politique, de décider pour son propre destin national ?

Le mouvement populaire lui, nait un 22 février 2019, a subi de plein fouet la pesanteur d’une pandémie que le pouvoir a instrumentalisé pour essayer d’avoir raison de sa radicalité ascendante. Il vient de perdre une figure charismatique, en la personne de Lakhdar Bouregâa, héros national de la guerre de libération et opposant irréductible au système depuis le début de l’indépendance, en 1962. Emprisonné à l’âge de 86 ans au plus fort du Hirak, il vient de s’éteindre, terrassé par l’épidémie du Covid-19.

Le Hirak a reculé, mais il s’est profondément enraciné dans la société et dans les replis du pays profond. Les slogans du Hirak, malgré leurs limites, imprègnent le mouvement dynamique dans les quatre coins du pays, à Bordj Bou Arreridj, à Béni Ourtilane, à Akbou, à Tazmalt, à Béjaia, à Ghardaia, à Tizi Ouzou, à Biskra, à Oued Souf et n’importe où ailleurs, en Algérie. Il faut absolument inscrire cette pratique de lutte, dans la durée, pour qu’elle puisse accoucher du niveau de conscience politique requis.

Alger, le 9 novembre
Chamil
Action de Gauche Populaire (Algérie

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