Depuis quelques semaines, les lynchages de femmes ont repris dans la ville d’Hassi Messaoud. Il y a neuf ans, elles avaient été des dizaines à être les victimes d’exactions, orchestrées par des bandes de jeunes hommes.
« Tu bouges tu meurs, sale p… », menace un homme armé d’un sabre accompagné de sa bande. Ils sont venus mettre à sac l’appartement de Fatiha, une femme vivant seule, dans le quartier des 36 logements. La scène se passe dans la nuit de mercredi à jeudi dernier à Hassi Messaoud. Cette ville pétrolière du Sud de l’Algérie, tristement célèbre pour des lynchages de femmes en juillet 2001, est de nouveau le théâtre d’expéditions punitives depuis quelques semaines, visant les femmes seules, nombreuses dans la région.
Suivies, attaquées, torturées, parfois violées et dépouillées de leurs biens, des dizaines de femmes d’Hassi Messaoud, ont à nouveau subi des violences ces dernières semaines, selon une enquête d’El Watan. Le mode opératoire est toujours le même : une bande de jeunes hommes, après avoir suivi sa cible, pénètre par effraction la nuit chez elle, et l’attaque.
Encore sous le choc de son agression la semaine dernière, Souad raconte à El Watan : « Lorsque je me suis réveillée, j’ai vu le viseur d’un téléphone portable se fixer sur mon visage. J’étais terrorisée. Ma sœur criait et ma mère suppliait les assaillants de ne pas nous toucher. L’un d’eux m’a bloquée contre le mur en m’enfonçant un tournevis dans le ventre. Il m’a enlevé ma chaîne en or, mes bagues et mes boucles d’oreilles. […]. Il m’a interdit de crier et j’étais comme paralysée, jusqu’au moment où il a commencé à relever ma jupe. Je le suppliais, mais il était comme drogué. Il puait l’alcool, tout comme ceux qui étaient avec lui. […] Nous avons crié de toutes nos forces et l’un d’eux, dans sa fuite, a laissé tomber la serviette qui recouvrait son visage. Un visage que je garderais en mémoire toute ma vie. Les cinq ont pris la fuite lorsque les voisins ont ouvert leurs portes en entendant nos cris ».
Et la police ? Un silence presque complice entoure ces affaires. Et presque à chaque fois, les crimes restent impunis. Souad se souvient du jour où elle a prévenu les forces de l’ordre. « J’ai été au commissariat du quartier […] Vous savez quelle a été la réponse de l’officier ? « Savez-vous qui sont ces jeunes? Qui vous dit que moi, le policier, je ne suis pas avec eux ? Le matin, je mets ma tenue pour aller travailler et le soir je mets un turban autour de mon visage et j’agresse les femmes qui résident seules », a-t-elle confié à El Watan.
La crise de l’emploi : une des raisons de la frustration masculine
Mais pourquoi de tels lynchages ? La principale cause selon le journal Libération, serait, semble-t-il, d’ordre économique. Les femmes d’autres régions algériennes choisissent d’émigrer dans la commune connue pour ses opportunités d’emploi, notamment dans les domaines administratifs ou les compagnies étrangères, très implantées, recrutent. Ce nombre important de femmes sur le marché de l’emploi entraînerait une frustration des hommes au chômage.
Mais ce n’est pas la seule raison. Dans un pays où l’égalité entre les sexes a encore du chemin à faire (le code de la famille, en place depuis 1984 dans le pays, ne reconnait pas l’égalité entre hommes et femmes), une algérienne vivant seule est souvent mal perçue et considérée comme « perdue ». Certains vont jusqu’à dire qu’il faut la « châtier ». Les expéditions punitives d’Hassi Messaoud en sont une illustration à l’extrême.
Laissées pour mortes, un ouvrage paru aux éditions Max Milo le 11 février, relate, par le biais de la comédienne Nadia Kaci, les témoignages de Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, toutes deux victimes des lynchages en 2001. Elles ont vécu le calvaire durant la nuit du 31 juillet où des hommes encagoulés, armés de gourdins, ont attaqué, violé et parfois même enterré vivantes des femmes du quartier d’Al Haïcha.
La cité pétrolière est pourtant réputée être l’une des plus surveillées de la région. Mais à l’été 2001, des hommes, sous le commandement d’un imam, s’étaient mis en tête qu’ils devaient « châtier les femmes perdues ». Leur joug s’était abattu sur une quarantaine de victimes. Mais seules deux d’entre elles, Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, avaient osé porter plainte et aller jusqu’au bout de la procédure judiciaire. Plusieurs condamnations avaient été prononcées… par contumace. Selon Nadia Kaci, interviewée par L’Express, le gouvernement a « tout fait pour maintenir les yeux fermés. D’ailleurs, les violences faites aux femmes ont explosé depuis 2001. Mais tout est fait pour les décourager de porter plainte. J’en suis à me dire qu’il existe une réelle volonté politique de nuire aux femmes ».