Des marches et des meetings populaires de dénonciation du terrorisme et « de soutien à la réconciliation nationale » sont prévus aujourd’hui à travers le pays à l’appel d’organisations de la société civile selon un communiqué rendu public hier sans que l’on sache exactement qui est derrière cette initiative.
La démarche est vieille comme le système. Tout le monde aura compris qui a appelé à ces marches et qui y prendra part. Il faut être plus que naïf pour croire que la société civile qui n’est ni structurée ni pourvue de moyens puisse, par un claquement de doigts, mobiliser, soulever les foules et les faire sortir dans la rue pour dénoncer le terrorisme. On le sait à l’avance, l’appel ne manquera pas, bien évidemment, d’être massivement suivi. Mais si ces marches pouvaient parvenir à provoquer un déclic dans les consciences aussi bien des gouvernants que de la société ankylosée par le discours politique ambiant qui dénonce officiellement le terrorisme mais tout en l’entretenant politiquement, il n’y a pas là matière à faire la fine bouche.
Le terrorisme et ses sponsors tirent précisément leur force de nuisance dans la démobilisation de la société dont ils puisent leurs ressources. Chacun de nous devrait méditer cette réaction de civisme par laquelle se sont illustrés des citoyens marocains pourchassant un des trois kamikazes qui avait raté son coup en le cueillant comme un lapin dans un fourré du coin où il s’était réfugié pour fuir à la police qui était à ses trousses. En se rendant au chevet des blessés des attentats d’Alger à l’hôpital Mustapha, le président Bouteflika avait appelé les citoyens à bouger pour faire front contre le terrorisme. « Le peuple ne peut pas continuer à se comporter en spectateur », a-t-il lancé. Aveux d’impuissance de l’Etat à combattre le terrorisme ? C’est ainsi, en tout cas, que cette sortie a été comprise par certains observateurs. Le pouvoir qui pensait à tort qu’il était suffisamment fort pour venir à bout, seul, du terrorisme en alternant option militaire et solution politique, au gré des conjonctures politiques, découvre, aujourd’hui, que cette démarche est infructueuse.
Si la mobilisation contre le terrorisme n’est pas aujourd’hui à la mesure des défis qui se posent au pays, la responsabilité première de cette inertie ne lui incombe pas. Quand on sait que le droit de réunion et de rassemblement n’est reconnu qu’aux manifestations officielles organisées par le pouvoir et quel traitement fut réservé aux initiatives de certains syndicats sectoriels notamment celui de l’éducation qui avaient osé braver cet interdit en sortant dans la rue, on comprend alors aisément pourquoi la société est presque sommée de démissionner devant le phénomène du terrorisme. Et pourtant, le temps n’est pas loin où sa résistance avait forcé le respect et était citée en exemple partout dans le monde ! La démobilisation de la société face au terrorisme n’est pas le signe d’une abdication du peuple devant les marchands de la mort, ni un quelconque signe de lassitude. C’est plutôt la rançon d’une politique.
La classe politique et la société civile mobilisés?
Le pouvoir pensait que la réconciliation nationale était la panacée contre ce mal qui ronge la société depuis plus d’une décennie. Que la fin du terrorisme pouvait être réglée par décret. Qu’il n’avait désormais plus besoin du soutien populaire pour parvenir à cet objectif. La réalité tragique de ces derniers jours aura démontré le contraire. A savoir que c’est le peuple qui fait l’histoire. Il est heureux que le pouvoir qui a tergiversé au cours de ces dernières années en ce qui concerne le traitement du phénomène du terrorisme l’ait enfin compris même si derrière l’initiative des marches populaires que l’on s’apprête à organiser en réponse aux attentats de ces derniers jours, il y a certainement des calculs politiques inavoués. La classe politique et la société dans toute sa diversité, par delà les relais traditionnels du pouvoir, pourraient également mettre à profit cette brèche ouverte par le pouvoir qui reconnaît explicitement le poids et la contribution de la société civile et des acteurs politiques dans la résolution de la crise que traverse le pays pour s’y engouffrer et faire entendre, de nouveau, sa voix.
Après le dialogue à sens unique à deux entre le pouvoir et les islamistes qui a dominé le débat politique au cours de ces dernières années, la société se réapproprie-t-elle l’espace politique et social qu’elle a perdu depuis lors en désertant, malgré elle, le terrain de la résistance contre le terrorisme ? Qu’importe de savoir qui a appelé aux marches d’aujourd’hui si l’objectif est véritablement d’isoler les terroristes et leurs commanditaires ! Pourquoi, pour une fois, les démocrates ne chercheraient-ils pas à exploiter à leur tour cette opportunité en s’y associant en masse à ces marches pour forcer la main au pouvoir et l’amener à revoir sa copie sur le traitement de la crise, à la lumière des événements graves que vient de vivre le pays ? Evidemment, si le pouvoir qui a inspiré sans nul doute ces marches a convoqué le patriotisme des citoyens pour conforter sa légitimité mise à mal par ces derniers attentats ou parce qu’il est envahi par un profond sentiment de doute quant à l’efficacité de la lutte menée contre le terrorisme sur le terrain politique et militaire, il n’y a pas de quoi être optimiste pour l’avenir. Une marche populaire est destinée par essence à faire porter un message, des revendications au pouvoir. Les marches d’aujourd’hui ressemblent à des marches d’autoflagellation et d’exorcisme collectif de la population que le Président a accusée implicitement de complicité active ou passive avec le terrorisme.
Omar Berbiche, pour El Watan