Il y a quelques mois, un appel a également été lancé par plus de 200 journalistes algériens signataires d’une pétition qui faisait suite à la première incarcération de notre confrère, pour « sauver l’honneur de la presse en Algérie », mais en vain.
L’incarcération « abusive » de Khaled Drareni n’est pas la seule. En effet, les journalistes Sofiane Merrakchi, Said Boudour et Abdessami Abdelhaî sont également en détention provisoire. Pour nombre d’observateurs, les libertés individuelles s’écroulent les unes après les autres en Algérie.
« Il n’est pas normal que des journalistes soient en prison. Il y a eu une révolution [le Hirak, NDRL] pour un État de droit et des libertés, dont la liberté d’expression, mais le système politique poursuit des journalistes qui ont une ligne éditoriale qui déplaît », déplore l’avocat Mustapha Bouchachi.
Cette situation nous renseigne, en effet, sur la terrible atteinte à la liberté de la presse en Algérie. C’est aussi une prise de conscience pour les journalistes qui ont clairement identifié l’enjeu qui est de les déposséder du droit élémentaire d’informer sur les événements majeurs qui se déroulent dans le pays.
Contre vents et marrées, le journaliste algérien se bat encore…!
Khaled Drareni avait été libéré, mardi 10 mars, après trois nuits passées en garde à vue. Il est poursuivi pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale » après avoir filmé un rassemblement dans le centre d’Alger. Le journaliste avait été présenté au procureur de la République puis à un juge qui l’avait finalement placé sous contrôle judiciaire après que sa garde à vue ait été prolongée à deux reprises pour « complément d’enquête ». Il avait alors été soumis à une ISTN, son passeport et son téléphone avaient été confisqués.
Un « complément d’enquête » qui avait alors exaspéré les avocats de la défense. « Quel complément d’enquête y a-t-il à mener envers des personnes arrêtées dans une manifestation ? Ou alors on cherche des accusations a posteriori, ce qui est complètement illégal au regard de la loi. C’est un dangereux dérapage de la part de l’appareil judiciaire » dénonçait, lundi 9 mars, un de ses avocats, Maître Abdelghani Badi. Il insistait également sur le fait que « l’appareil judiciaire et l’appareil sécuritaire fonctionnent de pair en faveur du gouvernement et non au service du citoyen ».
Le 29 mars dernier, l’annulation du contrôle judiciaire du journaliste et son placement sous mandat de dépôt, sont dénoncés comme un « énième coup de force perpétré en l’encontre de la souveraineté populaire » par Maître Fetta Sadat, avocate connue pour ses prises de position en faveur de la défense des droits de l’Homme. Pour elle, « le pouvoir de fait exploite la situation sanitaire qui éprouve le pays pour anéantir, toute honte bue et de la pire des manières, les moindres des droits et libertés ».
Les chefs d’inculpation prononcés à l’encontre du journaliste pourraient, selon les avocats de la défense, conduire à dix ans de prison simplement pour ses reportages en tant que journaliste couvrant les manifestations du Hirak.
Discours ambivalent !
La demande de remise en liberté provisoire déposée par le collectif de défense du journaliste Khaled Drareni a été rejetée, mercredi 6 mai, par le juge d’instruction près le tribunal de Sidi M’hamed, rappelant que son « emprisonnement est une procédure arbitraire, d’autant plus qu’il a été arrêté alors qu’il exerçait ses fonctions de journaliste ».
Pourtant, il y a deux mois, lors de son investiture, le Président Tebboune avait insisté sur le fait que « la liberté de la presse est une chose sacrée », un principe fondamental « qui garantit au journaliste professionnel algérien d’accomplir sa mission », et qu’il « bénéficie du droit constitutionnel d’exercer son métier sans entraves, sans pressions et sans intimidations ».
La réalité est toute autre. Sur le terrain, les journalistes sont confrontés à de nombreuses contraintes : intimidations, arrestations, incarcérations arbitraires et parfois même censure. Telles sont les mesures prises par les autorités algériennes à l’encontre des journalistes et des médias algériens libres. En effet, les persécutions dont font l’objet les journalistes depuis des mois ciblent clairement l’information professionnelle sur le Hirak.
Si ces restrictions ont toujours été imposées aux médias, surtout indépendants, elles ont été fortement renforcées après le déclenchement du mouvement, le 22 février 2019. Depuis le début de la contestation populaire, les journalistes et médias indépendants se battent contre ces pratiques qui visent à les museler. Il semble que le journaliste indépendant dérange la police politique en Algérie, surtout depuis l’avènement du Hirak.
« La liberté de l’information fortement menacée »
Dans un contexte politique assez instable, l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), qui classifie l’Algérie à la 146e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse 2020, considère que la liberté de l’information en Algérie demeure fortement menacée. Les autorités continuent, selon l’ONG, de verrouiller le paysage médiatique avec de nombreux procès intentés contre des journalistes.
En effet, sous pression judiciaire, la presse algérienne peine à remplir sa mission. RSF rappelle qu’au cours de l’année 2018, « le pays a connu une vague d’arrestations de journalistes sans précédent pour des articles jugés diffamatoires ». Depuis le début du mouvement de contestation en février 2019, les journalistes algériens ne cessent de réclamer leur droit à couvrir librement l’actualité politique de leur pays.
La presse électronique à la croisée des chemins !
Alors que le gouvernement promet des changements -surtout après les annonces présidentielles de février concernant la régularisation de la situation juridique des journaux électroniques domiciliés en Algérie- la presse électronique est sur le fil du rasoir.
Le Président s’était engagé à ce sujet : « ces médias seront traités au même pied d’égalité que la presse nationale écrite en matière de couverture des activités nationales et officielles et d’accès à la publicité publique, et ce dans le strict cadre de la loi et de la déontologie de la profession ».
Cette nouvelle était passée, pour nombre d’observateurs, pour de la « poudre aux yeux » lancée afin de faire accepter la feuille de route du gouvernement. L’objectif étant de soumettre ces médias au diktat de la publicité publique de l’État.
Ainsi, la situation héritée des années 60 reste inchangée, voire a empiré. La presse électronique semble être dans le collimateur des autorités, surtout avec le rôle très important qu’elle joue dans la couverture des derniers événements, pré-confinement, que vit le pays.
L’acharnement du pouvoir contre le Hirak et toutes les manœuvres injustifiées, menées depuis des mois pour briser l’aspect pacifique du mouvement populaire, ont échoué. C’est dans cet état de fait que Khaled Drareni et tous les journalistes libres, qui se battent encore, ont voulu dénoncer au peuple algérien une vérité que le régime souhaite masquer à tout prix.
Face à ses contraintes, la liberté de la presse est devenue l’affaire de tous les Algériens. Les membres de la corporation ne sont plus les seuls à réclamer la levée des restrictions. Le peuple a fait de la liberté de la presse une de ses revendications principales. A chaque marche, des pancartes et banderoles sont brandies en faveur du quatrième pouvoir : « Presse libre et indépendante ». Ainsi, le slogan « Le journalisme n’est pas un crime » demeure le serment de tous les journalistes algériens.