Le chef de l’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, est un homme heureux. Il peut briguer un troisième mandat et devenir président à vie. Jeudi dernier, les parlementaires ont voté une révision de la Constitution qui supprime le nombre de mandats. Une régression démocratique qui intervient dans un pays où la liberté d’expression devient chaque jour plus restreinte.
Abdelaziz Bouteflika, président à vie ? la question est sur toutes les lèvres. A une majorité écrasante, les parlementaires ont voté jeudi dernier une révision de la Constitution, qui supprime le nombre de mandats qu’un président peut exercer à la tête de son pays. « C’est un putsch constitutionnel, une véritable régression démocratique », déclare avec véhémence, Nouredine Aït-Hamouda, député du rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Cette révision de la Constitution met en exergue les problématiques algériennes préexistantes. Dans ce pays, la liberté d’expression est souvent bafouée.
Les intellectuels au pilori
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, les journalistes et les éditeurs subissent les pressions d’un gouvernement qui ne veut pas être critiqué. « Bouteflika ne reconnaît aucune entité qui échappe au pouvoir central », explique Mohamed Benchicou dont l’impression du livre « journal d’un homme libre » avait été interdit en octobre dernier. L’écrivain et journaliste algérien dresse un bilan sans appel : « le chef de l’Etat n’a pas su assurer la bonne gouvernance de son pays et s’est distingué par son absence et par ses attaques répétées contre la presse. L’Algérie de Bouteflika a connu une régression accélérée, pour ne pas dire une dégénérescence ».
Quand le président s’exprime, le peuple doit se taire. Le 26 octobre dernier, l’écrivain Amin Zaoui avait été limogé de son poste de directeur de la Bibliothèque nationale algérienne, pour avoir notamment invité le poète syrien Adonis. Lors d’une conférence, l’auteur, connu pour ses prises positions non conformistes, avait critiqué « l’institutionnalisation de l’islam » dans les pays arabes et la non-reconnaissance d’une existence juridique autonome de la femme. Une erreur de casting qu’Amin Zaoui a payé de son poste.
Depuis quelques temps, les restrictions des libertés dans ce pays apparaissent au grand jour. Une tribune de Rachid Benyellès, général à la retraite et ancien chef d’état-major de la marine algérienne, dans le quotidien français Le Monde, raconte une Algérie sur le déclin où la liberté d’expression a été muselée. Classé par Reporters sans frontières à la 121ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse, le pays souffre d’une image peu reluisante. On est bien loin des années 90, durant lesquelles le chef de l’Etat de l’époque, Mouloud Hamrouche, avait promulgué une loi qui donnait toute liberté à la presse. Avec Abdelaziz Bouteflika, c’est un « black out » progressif qui s’est mis en place. « Le pouvoir veut revenir au système unique, il considère ses acquis comme des prérogatives d’Etat. La liberté de presse, d’entreprise… n’a pas été transférée à la population », confie Mohamed Benchicou.
La presse : ennemie ou amie de Bouteflika ?
En 1999, le chef de l’Etat algérien avait durci le code pénal et, en particulier, l’article 144 bis « qui prévoyait des peines de deux à douze mois de prison et des amendes allant de 50 000 à 250 000 dinars (environ 500 à 2 500 euros) pour toute mise en cause dans des termes injurieux, insultants ou diffamatoires du président de la République, du Parlement ou de l’une de ses deux Chambres, ou de l’ANP (l’armée nationale populaire) ». Cela n’a pas empêché des journalistes comme Mohamed Benchicou de critiquer le régime en place. Lors des élections présidentielles de 2004, le quotidien algérien de l’écrivain-journaliste, Le Matin, avait été fermé et son directeur mis en prison. Pas facile dans ces conditions d’exercer le métier de journaliste. « Abdelaziz Bouteflika n’a jamais accordé d’interview à la presse de son pays. Cette attitude nous dévalorise et nous discrédite », explique Ali Benyahia, du journal algérien, El Watan.
Malgré ces attaques, les journalistes tiennent bon. « Il y aura toujours des obstacles sur le chemin de la liberté. Le rôle d’un quotidien est de faire éclater la vérité », ajoute-t-il. Un objectif qui n’est pas du goût du chef de l’Etat qui, pour faire taire ces dissidents, à créer des journaux qui lui sont proches. Ces publications, à la gloire d’Abdelaziz Bouteflika, vivent grâce à des subventions indirectes : ils bénéficient des imprimeries appartenant à l’Etat. Aujourd’hui, seuls deux quotidiens, El Khabar et El Watan, sur les 48 qui existent possèdent leur imprimerie.
Cette mainmise du pouvoir reflète la volonté d’un homme de contrôler toutes les formes d’expression. Une attitude qui n’est pas prête de changer, à l’heure où Abdelaziz Bouteflika brigue un troisième mandat…