Des violences « intercommunautaires » frappent depuis quelques semaines la région de Ghardaïa, au sud d’Alger. Explications d’un conflit entre Algériens et… Algériens.
Quatre morts, plus de 200 blessés et un silence assourdissant du gouvernement… Mais que se passe-t-il à Ghardaïa, cette localité à 600 km au sud d’Alger touchée depuis quelques semaines par de violents affrontements entre Algériens ?
Certains parlent de violences ethniques, opposant la communauté arabe à celles des mozabites, un groupe ethnique berbère vivant principalement dans la région du M’zab et les grandes villes algériennes. Les Mozabites sont connus pour être une communauté « sage » et « pacifique ».
D’autres parlent de violences interconfessionnelles entre Ibadites et Malékites. La plupart des Mozabites sont Ibadites, un courant de l’islam que l’on retrouve tout particulièrement dans le sultanat d’Oman. Fondé près de cinquante ans après la mort du prophète de l’islam, l’Ibadisme prône une pratique puritaine de l’islam. Les ibadites sont réputés pacifistes, d’où le qualificatif de « pacifique » attribué à la communauté mozabite. Et les Arabes de Ghardaïa, issus de la tradition Malékite, l’une des quatre écoles de jurisprudence sunnites.
Toutefois, beaucoup refusent de faire la moindre comparaison entre Mozabites, Arabes, Ibadites ou Malékites. Ils considèrent les habitants de Ghardaïa comme des Algériens et accusent des « criminels, peu importe leur origine » de semer la discorde.
Prémices d’une nouvelle tension
Tout aurait commencé fin décembre avec la destruction du mausolée du père de l’intégration dans la communauté mozabite de Ghardaïa, classé patrimoine mondial de l’Unesco. Le cimetière où repose Ammi Moussa, mort en 1617, a également été profané.
La violence s’est propagée très rapidement entre ces deux communautés. Malgré l’important dispositif sécuritaire déployé à Ghardaïa, l’on dénombre déjà quatre morts côté Mozabites. Les autorités locales semblent être impuissantes face à ce drame. Mais elles sont aussi et surtout accusées, avec la police, d’encourager indirectement les violences faites contre les Mozabites. Des vidéos montrent clairement des casseurs en train de détruire des biens mozabites, sans que les policiers, présents, ne réagissent. Des villes traditionnelles, pourtant gardées par des gendarmes et des notables, ont été pillés et incendiés.
Les Mozabites estiment que la situation actuelle est la « conséquence des retombées d’une politique qui a été menée dans cette région depuis l’indépendance ». Les Mozabites, très autonomes vis-à-vis de l’Etat, ont été taxés de « bourgeois réactionnaires » par le FLN après l’indépendance, selon un intellectuel mozabite. Le taux de chômage des Mozabites est faible, voire inexistant, contrairement à la situation de nombreux jeunes châambas (tribu arabe). Il est vrai que les mozabites ont toujours été autonomes vis-à-vis de l’Etat, gérant leurs affaires sur la base notamment d’une solidarité communautaire et économique.
Quatre morts, des centaines de blessés
Le bilan macabre ne cesse de s’alourdir à Ghardaïa. Un jeune mozabite de 22 ans, Baba-Ousmail Azzeddine, a été tué à coups de poignard mercredi. Une victime de plus qui s’ajoute aux trois morts enregistrés à Ghardaïa depuis le début de l’année. Une vidéo choquante montre le lynchage mortel qu’a subi Azzeddine. On l’aperçoit pris à parti par une bande de jeunes dont certains agissent à visage découvert, puis, à la fin de la vidéo, l’un d’entre eux brandit un poignard en direction du défunt.
Ghardaïa a déjà fait l’objet de troubles dans le passé. En 1975, la région avait connu des événements similaires à Béni-Isguen et Guerrara. En 1985, la ville de Ghardaïa fut ébranlée par le même type de violences, puis, respectivement, Berriane en 1991, Béni-Isguen et Melika en 2004, et de nouveau Berriane en 2008 et 2009. Enfin, Guerrara en novembre dernier, pour ne citer que les incidents majeurs. Au cours de l’année 2013, la wilaya de Ghardaïa aura connu, en tout, pas moins de neuf « affrontements intercommunautaires » de différente intensité.
Les Mozabites attendent désormais de l’Etat une réaction ferme et la garantie d’une protection impartiale…